lundi 1 février 2016

L’écrevisse: mythe et réalité: Publié dans Acadiana Profile - fév./mars 2016

L’écrevisse: mythe et réalité

Dans leur cosmogonie, Les Chitimacha reconnaissent un Créateur, Thoumé Kéné Kimté Cacounche, ou le Grand Esprit. Au commencement, il a placé la terre sous les eaux, les poissons étant les premiers animaux. Afin de faire sortir la terre de l’eau, il a ordonné à l’écrevisse d’aller au fond de la mer et d’en ramener à la surface. Avec cette terre émergée, il a formé les humains et les a installés à Natchez, leur première demeure. Cette histoire a certains parallèles avec la Genèse, mais il est important de noter que chez les tribus locales, l’écrevisse, ce délice qui occupe une bonne partie de l’année culinaire en Louisiane, joue un rôle déterminant dans la création du monde et des humains. L’importance de l’écrevisse pour les peuples originaux en Louisiane ne peut être surestimée. Les tribus des Houma, dont c’est le totem, et des Chakchiuma, assimilés par d’autres groupes, se sont créées en se séparant d’une autre tribu plus ancienne. Elles dérivaient ces noms de leur langue traditionnelle, une variation du parler des Chactas qui fait partie de la famille des langues muskogéennes occidentales. Chakchiuma veut dire « écrevisse rouge » tout simplement. Houma est le mot pour rouge, comme nous le voyons dans Istrouma, bâton rouge, ou Oklahoma, peuple rouge.

Du côté des nouveaux arrivés européens, nous aimons raconter un autre mythe à propos de l’écrevisse qui est aussi fondateur que celui d’Évangéline, avec laquelle elle a une relation étroite. Tout un chacun connaît l’histoire des homards en Vieille Acadie qui aimaient tant les Acadiens qu’ils les ont suivis pendant le Grand Dérangement, suivant la côte atlantique, contournant la Floride et traversant le Golfe pour arriver avec eux dans les bayous de Louisiane. Le voyage était tellement long et pénible que les homards ont perdu du poids, à tel point qu’ils se sont rendus à la taille d’une écrevisse. Un beau conte certes, mais comme le fait que les écrevisses étaient là bien avant les Européens le prouve, c’est aussi faux que la fable épique de Longfellow.

En réalité, l’écrevisse représente de nos jours une industrie majeure dans l’état qui doit faire face à une concurrence terrible de la part d’autres fournisseurs, notamment la Chine. La Louisiane représente plus de 90% de la production domestique actuelle et assure des milliers d’emplois. Bien que les gens les aient toujours mangées, ce n’était pas avant la fin du 19e siècle que l’on a commencé à les commercialiser. En 1880, l’année de la première récolte enregistrée, les Louisianais ont ramassé 22 400 livres d’écrevisses avec une valeur de $2 140. Vingt-huit ans plus tard, la quantité s’est levée à 88 000 livres qui représentaient $3 600. Pensez-y la prochaine fois que vous payez l’addition d’un plateau de cinq livres dans votre restaurant préféré. Pour être juste, il faut dire qu’avant il n’y avait pas d’élevage dans les clos de riz ou les simples étangs comme actuellement. Il suffisait de placer les nasses dans la nature avec un peu d’appât et de les ramasser. Le coût d’opération s’est augmenté depuis. Aujourd’hui, plus de 1 200 éleveurs produisent dans les 65 000 tonnes d’écrevisses chaque année avec une valeur supérieure à 200 millions de piastres.

Dans son livre « Louisiana Crawfish », Sam Irwin raconte comment l’écrevisse était considérée comme la nourriture du pauvre pendant longtemps en Louisiane. J’ai souvent entendu les aînés dire qu’on ne les mangeait qu’en dernier recours lorsqu’il n’y avait rien d’autre, ce qui arrivait assez souvent pendant la Grande Dépression malgré notre paysage généreux. Je connais des gens qui n’en mangent pas, mais c’est plutôt qu’ils préfèrent ne pas manger un animal qui vit dans la boue. En français louisianais, on les appelle « délicats ». Néanmoins, à partir de 1959 les attitudes ont commencé à évoluer avec la fondation du célèbre festival de l’écrevisse au Pont-Breaux. Plusieurs femmes ont été couronnées la Reine des écrevisses; dans sa capitale mondiale, l’écrevisse est la vraie reine.


Elle a fait du chemin depuis la création du monde. Lorsque vous vous trouvez devant une pile fumante d’écrevisses garnie de patates bouillies et du maïs en épi, rappelez-vous ce que cette humble crustacée a contribué au bonheur de l’humanité depuis la nuit des temps.