mercredi 1 octobre 2014

Les Allemands, ces Créoles oubliés

Les Allemands, ces Créoles oubliés: Publié dans Acadiana Profile oct.-nov. 2014

Les experts s’accordent sur une définition de Créole qui reconnaît, entre autres, une origine européenne. Comme le drapeau d’Acadiana le montre, on met l’emphase sur deux pays exclusivement : la France et l’Espagne. Notre statut d’ancienne colonie de ces deux anciens empires, ainsi que la prépondérance de patronymes français et espagnols, contribue à une sur-simplification d’une situation qui est loin d’être simple. Dès les années 1720, bien avant le Grand Dérangement et d’autres vagues d’immigration dues aux révolutions en France et en Haïti, des gens originaires de l’Alsace-Lorraine étaient parmi les premiers colons européens. Aujourd’hui, les Alsaciens et les Lorrains vous corrigeront vite si vous confondez les deux. Au fait, le terme Alsace-Lorraine n’est en général utilisé que pour désigner le territoire perdu à l’Empire allemand en 1871 et sa reconquête était un facteur majeur de la participation de la France à la Première guerre mondiale. Quoi qu’il en soit, en 1716 quand John Law a repris le monopole du commerce en Louisiane, il a fait appel aux Alsaciens de venir s’y installer. Ils y arrivent et fondent en 1721 la ville de Des Allemands. D’autres germanophones de la Vallée du Rhin, de la Suisse et de la Belgique ont également suivi ce même chemin pour former la Côte des Allemands, aujourd’hui les paroisses de Saint-Charles, Saint-Jean-Baptiste et Saint-Jacques. Sans les produits fournis par leurs fermes dans les années 1730, la Nouvelle-Orléans aurait sans doute périclité de famine. Il nous est difficile d’imaginer qu’on pourrait crever de faim en Louisiane, mais la menace était toujours là au début. Malgré plusieurs familles qui se disent cadiennes avec des noms comme Waguespack, Zaunbrecher, Schexnayder ou Zeringue, on ne tient pas souvent compte de l’importance de l’immigration allemande à notre histoire et leur contribution à notre gombo culturel.

La région autour de la Nouvelle-Orléans n’était pas le seul endroit qui a accueilli des Allemands. Chaque octobre, l’Anse Robert, établi en 1881 par le frère du Père Peter Thevis, un prêtre allemand que l’Archevêque Odin a recruté pour servir les germanophones de la Nouvelle-Orléans, honore son héritage avec la Germanfest. Mervine Kahn, immigrant allemand francophone, a joué un rôle déterminant dans la musique cadienne et créole. En 1884, il a ouvert un magasin à Rayne. On ne sait pas exactement comment, mais Kahn a commencé à importer et vendre des accordéons de l’Allemagne. L’instrument est vite devenu populaire avant l’avènement de l’amplification de son. La guerre a arrêté son importation, créant la pénurie d’un instrument qu’on appréciait beaucoup. Les Louisianais, débrouillards comme toujours, les ont défaits pour apprendre à les réparer et les construire eux-mêmes. Cette tradition, devenue une petite industrie, dure encore aussi.

La guerre avait des conséquences négatives pour la langue allemande aussi. L’Acte 114 de 1918 interdisait expressément la langue allemande dans toutes les écoles publiques, à tous les niveaux, sous peine d’une amende allant de vingt-cinq à cent piastres et/ou une incarcération d’entre dix et quatre-vingt-dix jours. Les petits francophones n’étaient pas les seuls à se faire punir parce qu’ils ne parlaient pas l’anglais à la maison. Auparavant, l’allemand était si bien répandu qu’en plus des prêtres germanophones, il y avait une gazette, le « Louisiana Staats-Zeitung », publiée à la Nouvelle-Orléans entre 1850 et 1866. « Die Geheimnisse von New-Orleans » ou « Les Secrets de la Nouvelle-Orléans » apparaissait d’abord en feuilleton dans ces pages. C’est un long roman en allemand décrivant en détail la vie de cette époque réédité aux Éditions Tintamarre à Shreveport, mieux connues pour ces publications en français.

Mon arrière-grand-père maternel Rebstock est arrivé très jeune en Louisiane de la Prusse avant la Guerre des Confédérés. Son fils, un soldat américain, est parti se battre dans la Grande Guerre. Une de mes possessions les plus précieuses est une carte postale qu’il a envoyée à sa mère avant son départ de New York. Il lui a écrit en français cadien. À ma connaissance, il n’a jamais parlé l’allemand, mais ma mère disait que dès fois il y avait des hommes qui venaient le voir de la Nouvelle-Orléans et ils se parlaient dans une langue qu’elle ne connaissait pas. Était-ce de l’allemand? Si l’histoire de la Louisiane m’a appris une chose, c’est que tout est possible.


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