Le Niveau de la Mer: 8è partie.
Milton Duet habitait une vielle cabane au fond de la
manche, derrière l’ancienne maison de mes grands-parents convertie en entrepôt
de la quincaillerie Western Auto. Il n’avait pas de lit, mais dormait dans un
hamac comme nos ancêtres qui ont annihilé les inventeurs du hamac, les Arawak. Il
ne serait pas juste de dire qu’il était fou, mais on n’aurait pas tout-à-fait
tort non plus. Milton avait une conception du monde qui était complète mais
fausse. C’était un artiste et un patriote. Sa cabane était construites avec les
« planches deboutes », c'est-à-dire qu’elles étaient placées de façon
verticale au lieu d’être à l’horizontal. C’est moins stable comme technique de
construction, mais moins chère car elle nécessite moins de bois. Entre les
espaces des murs intérieurs, l’entourage comme on dit, il fourrait des pages du
« Times-Picayune » et du « Lafourche Gazette » pour
empêcher le vent de passer. Accrochés au mur, il y avait un abattant et un
siège de toilettes. Quand tu soulevais le couvercle, tu trouvais une photo du
Général de Gaulle lors de son passage à la Nouvelle-Orléans en 1960. Milton ne
l’a jamais pardonné d’avoir fermé les bases américaines et quitté l’OTAN. Il fabriquait des œuvres d’art avec la
drigaille qu’il trouvait le long du chemin. Il prenait des
« pop-tops » en aluminium qui servaient de bouchons jetables pour des
boîtes de bière ou de soda. C’était au fait des mini-rasoirs qui tranchaient
net les pieds, nus ou chaussés de flip-flops. Pas étonnant que finalement ils fussent
interdits et remplacés par ces espèces de leviers qui enfoncent la languette à
l’intérieur de la boîte. Milton les tordait, manipulait et cajolait pour rendre
des scènes bibliques. L’arche de Noé était son chef-d’œuvre. Le cou de la
girafe et les joues de l’hippopotame, les écailles des poissons autour du
bateau et Noé lui-même étaient d’une exactitude anatomique singulière. Le
tableau qui m’intriguait le plus était « L’Échelle de Jacob ». Enfin,
c’est comme ça qu’il l’appelait, mais qui, j’ai appris des années après,
n’avait rien à voir avec l’ascension et la descente onirique d’anges. Dans la
version de Milton, Jacob est en train de fuir son besson Ésaü car il lui devait
de l’argent. Pendant sa cavale, il s’endort et rêve d’un bateau, une sorte de
chaland ou grande pirogue, qui flotte dans l’air. Dieu lui dit de construire
une échelle pour monter et trouver son trésor au fond du bateau. Ce que Jacob
fait. Une fois arrivé en haut de l’échelle, Jacob regarde dans le bateau parmi
les nuages. C’est la scène que Milton a créé où on voit Jacob de dos en haut de
l’échelle.
« Et tu sais ce qu’il a trouvait dans le
bateau? » me demande-t-il.
« De l’argent? »
« Mais non, couillon, y a pas d’argent au fond
d’un bateau qui flotte dans l’air. »
« Alors quoi y a? »
« Ben de l’eau, voyons. Tu vois pas qu’il mouille? »
En effet, il avait fait de toutes petites gouttes
d’eau qui tombaient des nuages pour remplir le bateau et arroser les marguerites.
Milton passait ses journées dans cette cabane; il
construisait ses tableaux, découpait des articles de la gazette et les
accrocher au mur. Il aménageait le peu qu’il possédait au monde avec une
précision méticuleuse. La boîte de conserve qui servait comme tasse était
toujours rangeait au fond à droite sur le cageot renversé en guise de table.
Une assiette en porcelaine semblait être sa possession la plus précieuse. Il ne
s’en servait pas souvent néanmoins. La plus part du temps, il mangeait des
Cheerios sec dans un bol en plastique. Comme il n’y avait ni l’électricité ni l’eau
courante, je me demande comment il assouvissait ses besoins corporels les plus
simples. À l’époque, cette idée ne me frôlait même pas l’esprit. Pour moi,
Milton était l’homme le plus libre et le plus génial de la planète.
Il n’avait évidemment pas de voiture. Il se déplaçait
dans un hack qu’il a construit lui-même. Il l’attelait derrière un bourriquet
qui n’avait pas de nom. C’était juste un bourriquet qu’il gardait derrière la
cabane et nourrissait de carottes ou de pommes de terre ou de ce qu’il pouvait
retirer des poubelles de Duffy’s Supermarket. Accroché à l’arrière du hack
était un panneau en bois, aussi de sa fabrication, qui disait « Bored of
Education ». Je ne pense pas qu’il ait passé un jour de sa vie dans une
salle de classe, mais je suis sûr, comme il l’annonce au monde, qu’il s’y
serait ennuyé ferme.
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