vendredi 10 mai 2013


Le Niveau de la Mer: 8è partie.

Milton Duet habitait une vielle cabane au fond de la manche, derrière l’ancienne maison de mes grands-parents convertie en entrepôt de la quincaillerie Western Auto. Il n’avait pas de lit, mais dormait dans un hamac comme nos ancêtres qui ont annihilé les inventeurs du hamac, les Arawak. Il ne serait pas juste de dire qu’il était fou, mais on n’aurait pas tout-à-fait tort non plus. Milton avait une conception du monde qui était complète mais fausse. C’était un artiste et un patriote. Sa cabane était construites avec les « planches deboutes », c'est-à-dire qu’elles étaient placées de façon verticale au lieu d’être à l’horizontal. C’est moins stable comme technique de construction, mais moins chère car elle nécessite moins de bois. Entre les espaces des murs intérieurs, l’entourage comme on dit, il fourrait des pages du « Times-Picayune » et du « Lafourche Gazette » pour empêcher le vent de passer. Accrochés au mur, il y avait un abattant et un siège de toilettes. Quand tu soulevais le couvercle, tu trouvais une photo du Général de Gaulle lors de son passage à la Nouvelle-Orléans en 1960. Milton ne l’a jamais pardonné d’avoir fermé les bases américaines et quitté l’OTAN.  Il fabriquait des œuvres d’art avec la drigaille qu’il trouvait le long du chemin. Il prenait des « pop-tops » en aluminium qui servaient de bouchons jetables pour des boîtes de bière ou de soda. C’était au fait des mini-rasoirs qui tranchaient net les pieds, nus ou chaussés de flip-flops. Pas étonnant que finalement ils fussent interdits et remplacés par ces espèces de leviers qui enfoncent la languette à l’intérieur de la boîte. Milton les tordait, manipulait et cajolait pour rendre des scènes bibliques. L’arche de Noé était son chef-d’œuvre. Le cou de la girafe et les joues de l’hippopotame, les écailles des poissons autour du bateau et Noé lui-même étaient d’une exactitude anatomique singulière. Le tableau qui m’intriguait le plus était « L’Échelle de Jacob ». Enfin, c’est comme ça qu’il l’appelait, mais qui, j’ai appris des années après, n’avait rien à voir avec l’ascension et la descente onirique d’anges. Dans la version de Milton, Jacob est en train de fuir son besson Ésaü car il lui devait de l’argent. Pendant sa cavale, il s’endort et rêve d’un bateau, une sorte de chaland ou grande pirogue, qui flotte dans l’air. Dieu lui dit de construire une échelle pour monter et trouver son trésor au fond du bateau. Ce que Jacob fait. Une fois arrivé en haut de l’échelle, Jacob regarde dans le bateau parmi les nuages. C’est la scène que Milton a créé où on voit Jacob de dos en haut de l’échelle.
« Et tu sais ce qu’il a trouvait dans le bateau? » me demande-t-il.
« De l’argent? »
« Mais non, couillon, y a pas d’argent au fond d’un bateau qui flotte dans l’air. »
« Alors quoi y a? »
« Ben de l’eau, voyons. Tu vois pas qu’il mouille? »
En effet, il avait fait de toutes petites gouttes d’eau qui tombaient des nuages pour remplir le bateau et arroser les marguerites.
Milton passait ses journées dans cette cabane; il construisait ses tableaux, découpait des articles de la gazette et les accrocher au mur. Il aménageait le peu qu’il possédait au monde avec une précision méticuleuse. La boîte de conserve qui servait comme tasse était toujours rangeait au fond à droite sur le cageot renversé en guise de table. Une assiette en porcelaine semblait être sa possession la plus précieuse. Il ne s’en servait pas souvent néanmoins. La plus part du temps, il mangeait des Cheerios sec dans un bol en plastique. Comme il n’y avait ni l’électricité ni l’eau courante, je me demande comment il assouvissait ses besoins corporels les plus simples. À l’époque, cette idée ne me frôlait même pas l’esprit. Pour moi, Milton était l’homme le plus libre et le plus génial de la planète.
Il n’avait évidemment pas de voiture. Il se déplaçait dans un hack qu’il a construit lui-même. Il l’attelait derrière un bourriquet qui n’avait pas de nom. C’était juste un bourriquet qu’il gardait derrière la cabane et nourrissait de carottes ou de pommes de terre ou de ce qu’il pouvait retirer des poubelles de Duffy’s Supermarket. Accroché à l’arrière du hack était un panneau en bois, aussi de sa fabrication, qui disait « Bored of Education ». Je ne pense pas qu’il ait passé un jour de sa vie dans une salle de classe, mais je suis sûr, comme il l’annonce au monde, qu’il s’y serait ennuyé ferme.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire