lundi 2 février 2015

Un Conte de deux Mardi Gras

Un Conte de deux Mardi Gras - publié en Acadiana Profile février-mars 2015.

Si c’était un hasard que Cavelier de la Salle trouve l’embouchure du Mississipi et prenne possession des terres drainées par ce fleuve en les nommant Louisiane d’après Louis XIV, le Roi-Soleil, et qu’un jour de Mardi Gras, le 3 mars 1699, Iberville l’établisse comme colonie française, c’est que parfois le hasard fait bien les choses. Depuis lors, notre état vit sous le signe des visions de grandeur et des frasques du carnaval. Cette fête ancienne qui remonte au Moyen-Âge est sans doute la première image qui vient à l’esprit des gens d’extérieur quand on évoque notre nom. Le faste associé avec les derniers jours avant la saison solennelle du Carême attire le monde entier vers la Louisiane dans l’espoir de vivre des émotions insolites et peut-être attraper un collier Made in China ou deux, voire, pour les plus chanceux, une noix de coco. Masqué ou pas, chacun prend une nouvelle identité avant de reprendre le train-train quotidien. Mais ce n’est pas qu’un aspect d’une fête qui joue sur l’ambiguïté.

Jean de La Fontaine, un poète français du XVIIe siècle, est connu pour ses Fables. Une des plus connues, Le Rat de ville et le Rat des champs, joue sur un thème fort connu; la morale de cette histoire de la rencontre d’un campagnard et d’un citadin est que la vie rustique est préférable à la vie urbaine. On retrouve ce motif un peu partout en littérature, mais en Louisiane, nous avons une version qu’on peut voir, toucher, sentir et même y participer chaque année. Mais dans ce cas, la morale est un peu différente car il n’est pas certain, selon les goûts, laquelle des deux versions est la meilleure. On a le choix.

Le Carnaval de la Nouvelle-Orléans, la Ville en français louisianais, avec ses flottes, ses fanfares et ses costumes extravagants, sert d’exemple à plusieurs municipalités à travers l’état. Les Krewes, ces groupes qui organisent non seulement les parades, mais les bals somptueux qui les accompagnent, n’épargnent aucune dépense dans la poursuite de cette folie annuelle. Même dans le grand nord à Shreveport, on a des défilés où la foule se presse pour attraper les bébelles jetées du haut des chars allégoriques en saluant leur roi d’un jour. Dans le lointain passé, comme on le voit dans Notre Dame de Paris, où Victor Hugo couronne Quasimodo, le roi était celui qui venait des plus bas rangs de la société, inversant l’ordre social en soupape de secours du peuple. De nos jours, la royauté carnavalesque vient des couches supérieures, inversant l’inversion.

Dans les prairies du sud-ouest, le courir du Mardi Gras, une tradition qui était presque perdue et ramenée de l’oubli par Revon Reed, Fred et Paul Tate à Mamou, le spectacle est inversé. Au lieu d’un défilé qui passe devant une foule agitée mais immobile, les « coureurs » -- en réalité à cheval et suivis par des musiciens dans un wagon tiré par des tracteurs -- avec leur célèbre capuchon, leurs cris de « cinq sous » et menés par le capitaine, vont de maison en maison pour quémander les ingrédients d’un gombo communal, tout en chantant « La Chanson des Mardi Gras ». Les spectateurs qui essayent de rester en marge sont vite absorbés dans la fête; soit appelés à contribuer financièrement soit obligés d’improviser un pas de danse, ils se joignent à la célébration. Si c’est un matin brumeux, on peut facilement se croire transporté aux temps des cathédrales.


Un jour j’ai vu Mardi Gras en Haïti qui, de mon point de vue louisianais, était un mélange de nos deux célébrations. J’étais dans la capitale de Port-au-Prince quand j’entends arriver de loin une joyeuse musique et les cris et chants d’une foule en liesse. Bientôt je vois une flotte comme chez nous, transportant des musiciens en train de jouer des chansons aux rythmes endiablés des îles. Au lieu de passer devant des spectateurs rangés au bord du chemin, la flotte était entourée des centaines de danseurs et d’autres fêtards qui suivaient à travers la ville. Quelle que soit votre préférence, la ville, la campagne ou une combinaison des deux, nous sommes tous invités au bal de Mardi Gras.

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