vendredi 27 mars 2015

Pâquer les œufs de Pâques: Publié dans Acadiana Profile avril-mai 2015

Pâquer les œufs de Pâques

Selon la tradition chrétienne, la période du Carême, les quarante jours entre Mercredi des Cendres et le jour de Pâques sans compter les dimanches, est marquée par l’abstinence et l’abnégation en préparation de la Résurrection de Jésus-Christ. Chacun sait que la viande est strictement interdite le vendredi pendant ce temps, comme c’était le cas autrefois pour tous les vendredis de l’année. Au Moyen-âge, les Catholiques devaient « faire jours maigres », c’est-à-dire journée sans viande, le mercredi aussi, et ce toute l’année. De nos jours, et surtout dans l’Acadiana où les fruits de mer sont si abondants et succulents, on peut penser que ce n’est pas un grand sacrifice de remplacer un sandwich au jambon avec cinq livres d’écrevisses bouillies, à tel point que le Pape François a dû rappeler à ses ouailles l’esprit de pénitence qui doit accompagner le jeûne pascal. C’est un temps de réflexion sur le sens de notre mortalité et sur le renouvellement de l’esprit.

Mais qu’est-ce que toutes ces questions religieuses et philosophiques ont à voir avec des œufs? La prochaine fois que vous mangez un gombo de marécage avec des œufs durs dedans, sachez que jadis les œufs étaient interdits aussi pendant le Carême. Les Chrétiens ne pouvaient pas les manger, mais on ne pouvait pas empêcher les poules de les pondre. Afin de ne rien gaspiller, les fermiers les faisaient bouillir et les garder jusqu’à Pâques. En plus du symbolisme associé avec la renaissance de la vie au printemps, les œufs jouaient un rôle pratique dans l’observation de la fin du Carême. Qui n’a pas participé aux chasses aux œufs cachés dans les trèfles bourgeonnant à cette époque de l’année, d’abord comme chasseur, plus tard comme cacheur? Aussi, à la Maison Blanche, le Président et sa famille invitent d’autres familles à rouler des œufs sur le gazon. La tradition veut que ce soit Dolly Madison qui ait inauguré la pratique en 1814, non pas à la Maison Blanche bien sûr, mais devant le capitole. Cet événement était abandonné et repris plusieurs fois avant de se faire rétablir définitivement par Mamie Eisenhower.

Avec notre tendance en Louisiane de ne pas faire comme les autres, on peut aisément croire que le « pâquage » n’est qu’une autre particularité de chez nous. Il consiste d’un combat de deux adversaires, chacun muni d’un œuf dur coloré. L’un tient son œuf au-dessus de l’autre et on cogne les pointes ensemble. L’objectif est de briser la coquille de son concurrent. On le fait un peu partout en Acadiana, mais les villes de Cottonport et de Marksville, au sommet du triangle, organisent des concours le weekend de Pâques. Dans plusieurs villes, notamment à la Ville Platte, on prend cette coutume très au sérieux. Certains commencent à faire bouillir des œufs des semaines à l’avance et s’entrainent comme des athlètes de haut niveau. Ce n’est pas du jamais vu que certains essaient de tricher en mettant du vernis sur la coquille ou même en utilisant des pierres en forme d’œuf!

Et pourtant non, les batailles d’œufs ne sont pas particulières au sud de la Louisiane. Elles remontent à la nuit des temps et ne sont pas uniquement associées au christianisme. Le séder de Pessa’h peut avoir la distribution d’œufs durs qui vont finir en armement succédané à la fin du repas. Dans la ville d’Assam en Inde, elles s’appellent Koni-juj. Elles se pratiquent également à travers l’Europe. En Grèce, c’est tsougrisma et aux Pays-Bas, les enfants se battent dans un jeu de eiertikken. Dans les trois cas, on peut traduire les noms plus ou moins par « taper des œufs ». En français louisianais, l’origine de l’expression « pâquer des œufs » est plus difficile à cerner. On peut croire qu’avec son association pascale, on a simplement converti le nom de la fête religieuse en verbe. Ce n’est pas impossible, mais je crois que l’explication la plus plausible est qu’il vient du son que font les œufs quand ils se cognent. Pour les plus compétitifs, c’est le son de la victoire quand ça fait craquer l’autre. La pression de gagner est énorme; c’est presqu’une question de vie ou de mort, ce qui est quand même dans l’esprit de la célébration de la Résurrection.


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