mercredi 1 juin 2016

Un ragoût d’hippopotame -- Publié dans Acadiana Profile juin-juillet 2016

Un ragoût d’hippopotame

Parmi les centaines d’histoires que le folkloriste Barry Ancelet a collectionnées, les plus célèbres sont sans doute les contes de Pascal. Racontés au Fred’s Lounge, ces contes relatent les aventures rocambolesques de Pascal et ses amis qui se déplaçaient en bicyclette sur les fils téléphoniques ou en emballeuse de foin pour se rendre sur la lune. Les clients là ont l’habitude d’entendre des contes forts. Mais je crois que si un beau samedi matin à Mamou je commençais à raconter l’histoire suivante, le monde là-bas me prendrait pour le plus gros des menteurs du pays. Et pourtant chaque mot de l’histoire de comment on a essayé de nous faire manger de l’hippopotame il y a plus de cent ans est vrai.

Les États-Unis du début du XXe siècle se transformaient à une grande vitesse. La croissance de la population mettait une forte pression sur la nourriture que les fermiers pouvaient fournir. Pour la viande, la situation était catastrophique. Il y avait plus de bouches à nourrir, mais le nombre de vaches avait baissé de façon dramatique. Le roman d’Upton Sinclair, La Jungle, avait obligé le gouvernement à mandater l’amélioration des abattoirs insalubres, réduisant encore les réserves de viande. La peur de ne pas pouvoir nourrir tout le monde était réel. Mais un plan imaginé par un trio improbable, composé d’un mercenaire qui a inspiré la création des Scouts, d’un chasseur boer qui a espionné pour les Nazis et d’un représentant cadien qui a commencé sa carrière politique en s’opposant à la loterie, de faire venir des hippopotames dans les marécages louisianais proposait d’éliminer cette peur.

Frederick Burnham se débrouillait seul depuis l’âge de douze ans en Californie. Deux ans plus tard, vers 1875, il a rencontré un des derniers éclaireurs du Far-West qui lui a enseigné les compétences nécessaires pour survivre dans le désert. Petit à petit, le jeune Burnham a appris un nombre impensable de techniques de survie qui lui serviront plus tard dans l’exploration d’Afrique australe pendant la Guerre des Boers. C’était à cette époque qu’il fait la connaissance de Lord Baden-Powell. Ce noble anglais était tellement impressionné par les prouesses de Burnham qu’il a décidé de former une organisation pour enseigner ses méthodes à la jeunesse : les Scouts. Fritz Duquesne était un Boer, donc l’ennemi de Burnham qui se battait aux côtés des Anglais. Ils étaient considérés comme les meilleurs éléments de chaque côté, leur mission mutuelle, ce qui heureusement pour la suite de l’histoire ils n’ont pas accompli, était de tuer l’autre. L’ingrédient essential dans cette combinaison était Robert Broussard – homme politique, fils de planteur de la Nouvelle-Ibérie et descendant des déportés du Grand Dérangement – qui avait un problème local à résoudre n’ayant rien à voir avec le manque de protéine sur les tables américaines. C’était plutôt la surabondance qu’une plante aquatique lui causant des ennuis.

Originaire de l’Amérique du sud, la jacinthe d’eau est arrivée à la Nouvelle-Orléans en 1884 à l’occasion de l’Exposition mondiale célébrant le centenaire de la première exportation de coton vers l’Angleterre. Le contingent japonais la distribuait aux passants qui admiraient sa fleur. La jacinthe se propageait à une telle allure que les bayous et rivières étaient bientôt étranglés, empêchant le passage des bateaux commerciaux. Le projet de loi dit de l’Hippopotame américain de 1910, H.R. 23261, proposait d’allouer 250 000$ pour faire d’une pierre deux coups : les hippopotames mangeraient la jacinthe et les gens mangeraient les hippopotames. Ce projet a manqué de passer à la législature par très peu de voix. Après cet échec, l’enthousiasme initial n’est jamais revenu et on a oublié cette idée farfelue quand on a trouvé d’autres moyens d’augmenter la production de viande. Nous avons toujours des jacinthes d’eau qui encombrent nos cours d’eau, mais pas d’hippopotames. Quand on considère que les hippopotames tuent des centaines de gens chaque année en Afrique, je pense qu’on préfère voir les pétales pastel dans nos bayous, même si elles épuisent l’oxygène.

Il est presque impossible d’imaginer aujourd’hui qu’un de nos plats nationaux aurait pu être un ragoût d’hippopotame, mais c’est exactement ce qu’ils imaginaient pour nous. J’ai quand même l’impression que si cela avait marché, on aurait une émission de télé, Les Chasseurs d’hippopotame du bayou.


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