lundi 1 août 2016

Le cipre, un bois incorruptible, publié dans Acadiana Profile, le 1er août 2016.

Le cipre, un bois incorruptible

Le bassin de l’Atchafalaya est la plus grande zone humide des États-Unis, couvrant quelques 1.4 millions d’acres, ou 5 700 km2. Il fait 20 miles de large et 150 miles de long. Il est connu pour le commerce d’alligators et d’écrevisses, ses voies navigables et sa beauté naturelle. Le composant principal de ce paysage magique, le taxodium distichum, ce que l’explorateur français du 18e siècle Le Page du Pratz appelait, et ce qu’on appelle encore en français louisianais, le cipre, impressionne non seulement par son apparence, mais aussi par la qualité de son bois. Quinze ans après son retour en France, il a publié son Histoire de la Louisiane, où on peut lire le suivant :

« Le Cipre est après le Cédre le bois le plus précieux ; quelques-uns le disent incorruptible. … Son bois est d’une belle couleur tirant sur le rouge, il est tendre, leger, doux, uni. … Il ne se fend pas de lui-même mais seulement & sans peine sous l’outil de l’ouvrier. … C’est un bois qui se prête à tout ce que l’on demande de lui. »

Le Page du Pratz notait son utilisation dans la fabrication des pirogues, un des moyens de transport le plus important dans cet environnement. Il nous donne un des rares témoignages écrits qui racontent comment le bois était soigneusement brûlé et puis creusé pour former ces bateaux. Sans eux, il est difficile de voir comment on aurait pu se déplacer efficacement dans les marécages. Depuis, nos ancêtres ont appris ou découvert d’autres usages pour ce bois sans pareille.

Les colons incorporaient le cipre partout dans la construction. Les bardeaux en cipre formaient un sceau étanche contre les pluies fréquentes. On a compris qu’un bon moyen d’éviter les inondations, de laisser passer les courants d’air dessous et de les isoler des insectes comme les termites était de poser les bâtisses sur des blocs de cipre. Après cinquante ans, le cipre produit une sève qui le rend imperméable à l’eau et aux insectes. C’est pour cela, comme leurs cousins les séquoias sur la côte ouest, que les cipres peuvent vivre des centaines d’années, voire un millier ou plus, et atteindre des hauteurs qui donnent le tournis.

Puisque le cipre pousse dans l’eau, il a développé un système de racine unique. On peut croire que les « boscoyos » qui dépassent de l’eau autour de l’arbre sont de jeunes pousses. Ils font partie au fait des racines et sortent de l’eau pour respirer l’oxygène. Il vaut mieux ne pas les couper. Son habitat trempé est idéal pour une autre plante emblématique de l’Atchafalaya : la mousse espagnole. Beaucoup de familles vivaient de la récolte de la mousse et du cipre. Henry Ford était un gros acheteur de mousse pour rembourrer les sièges de ses voitures. Il exigeait qu’elle soit expédiée dans des cageots de cipre. Toujours l’homme d’affaires averti, il se procurait ainsi du beau bois pour les marchepieds et les tableaux de bords gratuitement.

Les bûcherons se comptaient par milliers, tellement il y avait d’arbres à transformer en planches. Ils tombaient des arbres tellement gros qu’une dizaine d’hommes ou plus ne pouvaient pas faire le tour de la base. Ils travaillaient tellement vite que des centaines d’arbres ont coulé au fond de l’eau, sans moyens de les repêcher jusqu’à présent. Les charpentiers prisent les troncs récupérés pour leur caractère exceptionnel. De longs séjours au fond de l’Atchafalaya n’ont pas nui à cette réputation d’imputrescibilité. Au contraire, ces arbres vivent une deuxième vie dans les maisons les plus élégantes. Les vieilles granges dilapidées sont aussi une bonne source de bois de cipre. Pour atteindre la qualité nécessaire pour que ce bois donne toute sa splendeur, il faut lui donner le temps. Il va sans dire que si on veut avoir un arbre millénaire, il faut attendre mille ans. Il paraît qu’il en reste quelques-uns de ses vieux géants au fond de l’Atchafalaya, mais il vaut mieux les laisser là où ils sont et recycler ceux qui ont déjà servi.

Désigné comme arbre officiel de l’état, le cipre représente des qualités à émuler. Si seulement on pouvait exiger à ce que tous nos politiciens soient comme lui, incorruptibles.


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