mardi 24 mai 2022

De la Pointe-aux-Chênes à la Pointe-au-Chien : La ténacité au bout du monde. Publié en Acadiana Profile juin-juillet 2022

 



Quand le monde à la télévision a dit que l’Ouragan Ida avait touché à terre près du Port Fourchon, malgré l’horreur de cette terrible annonce, j’ai dû un peu rire. « La terre? À Port Fourchon? Il n’y a pas eu de terre là depuis au moins cinquante ans. » Le sol louisianais n’a offert de résistance à l’assaut du vent et des eaux qu’après Houma et Thibodaux. Entre cette ligne presque imaginaire qui constitue la côte et un terrain plus robuste existent les pratiquants de notre riche culture dans les paroisses de Lafourche et Terrebonne. Parmi ce labyrinthe de canaux et l’invasion de l’eau salée qui affaiblit la terre, droit dans le passage de l’œil de l’ouragan, se trouve un des derniers bastions d’une culture indigène francophone de la Louisiane. Comme les estuaires nourriciers qui les entourent encore, c’est la terre de prédilection pour faire pousser la prochaine génération de porteurs de notre culture.

 

Malgré la fermeture de l’École élémentaire Pointe-aux-Chênes qui servait cette communauté principalement amérindienne, un nouvel effort pour ouvrir une école d’immersion française prend forme et cette forme est solide. Les membres de la communauté, épaulés par des activistes pour l’environnement et pour la culture, poussent pour la création de l’École Pointe-au-Chien, marquant un désir de faire valoir le nom que les locaux utilisent pour se désigner. À la suite de la visite de la Consule générale de France, l’élan vers l’établissement de cette école s’accélère. Avec le soutien du CODOFIL, il se peut qu’elle ouvre ses portes en août. Les programmes d’immersion ont fait leurs preuves ailleurs; il est temps que le peuple indigène bénéficie de cette même éducation.


Des parents protestent la fermeture de l'École
Pointe-aux-Chênes. Source Houma Today
Le lien entre l’érosion des côtes et la disparition des cultures locales est indéniable. L’état de Louisiane et le gouvernement fédéral promettent des sommes faramineuses pour inverser la tendance de ce premier, de l’argent qui est cependant insuffisant selon certains. Mais quel est le prix de la culture? Pendant trop longtemps, nous avions un embarras de richesse. On pensait bénéficier d’une source inépuisable d’artistes, d’artisans et de musiciens. Il est temps qu’on arrête de traiter notre culture, et surtout la langue française comme si elles seront toujours là, ou pire, que leur disparition n’aura pas de conséquences néfastes. Le moment est venu de lancer, à l’instar des projets de reconstruction des côtes, un programme ambitieux qui ne se contenterait pas de ralentir ou de stopper l’hémorragie de la perte de Francophones, mais qui rebâtira la fondation de notre culture et de notre identité. Il ne suffit pas de prolonger l’arrivée de l’inévitable, mais de ne plus accepter l’assimilation complète comme un destin inexorable. Les chênes, comme les chiens, ont plus ou moins disparu depuis longtemps en bas du bayou. On doit replanter des chênes et élever des chiens qui vont chasser. À défaut de garder la terre, on peut non seulement garder les langues et les cultures, mais les faire prospérer de nouveau. La fondation est encore là pour asteur. Il suffit de bâtir plus haut dessus avec ambition et fierté.

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