lundi 1 décembre 2014

Kirby Jambon, du bayou à la Seine -- publié dans Acadiana Profile Dec.-Jan. 2014-15

Kirby Jambon, du bayou à la Seine

Lorsque James Domengeaux a convaincu la législature de former le CODOFIL, un de ses rêves était qu’un jour un Louisianais soit nommé à un des quarante fauteuils de la très prestigieuse Académie française au bord de la Seine à Paris. Cette institution, créée en 1634 par le Cardinal Richelieu sous l’égide du roi Louis XIII, a comme mission « de normaliser et de perfectionner la langue française ». En principe, ses membres, surnommés les Immortels, sont représentatifs de ceux et celles qui manient le français avec le plus d’habilité et d’élégance. Ils ne sont pas uniquement des écrivains célèbres, comme Corneille, Chateaubriand, Hugo ou plus récemment l’ancienne professeur de français à LSU, Assia Djebar. Ils sont aussi des historiens comme Georges Duby, des scientifiques comme Jacques Cousteau ou des politiciens comme Valéry Giscard d’Estaing. Certains se rappelleront de ce président de la République française quand il est venu prononcer un discours dans le Colisée Blackham en 1976. Même s’ils étaient d’origine différente, comme Marguerite Yourcenar née en Belgique, François Chang né en Chine ou Hector Bianciotti né en Argentine, ils avaient tous la nationalité française et ils définissaient, plus ou moins, certaines normes de la langue. Tout ça a changé récemment avec deux événements majeurs.

D’abord, l’écrivain québécois d’origine haïtienne Dany Laferrière a été nommé, ironiquement peut-être, au fauteuil numéro 2, le même tenu jadis par Alexandre Dumas, fils. La grand-mère de Dumas était esclave à Saint-Domingue. Dany n’est pas le premier noir à siéger à l’Académie. Cet honneur appartient au grand poète et homme politique sénégalais Léopold Sédar Senghor. Ce qui est nouveau, c’est que Laferrière a la double nationalité comme Senghor et d’autres, mais celle de la France n’en est pas une. Une institution française, fondée pour rassembler la littérature, les lois et l’identité du pays autour d’une seule langue, a pour la première fois en 380 ans admis dans son sein un étranger. L’Académie a enfin admis formellement que la langue française appartient à d’autres nationalités.

Enfin, le plus important pour nous et ce qui s’approche le plus au rêve de Domengeaux, est qu’un écrivain francophone de Louisiane a été reconnu par l’auguste Académie. Kirby Jambon, professeur d’immersion française à Prairie Elementary à Lafayette a reçu le Prix Henri de Régnier au soutien de la création littéraire. Originaire du Bayou Lafourche, Kirby écrit dans un français de chez nous pour peinturer la vie de chez nous. Voici un petit extrait : « dis-moi pas qu’tu veux pas que j’chante/mont’e-moi pas qu’tu veux pas j’danse/y’a longtemps que j’chante/même plus longtemps que j’danse/…/on chante et on danse comme on s’rappelle/avec tout’d’not’e musique, la vie est belle ». L’Académicien Marc Fumaroli a lu ses lignes de son deuxième recueil, Petites Communions, dans un avion de retour à Paris. Peu de temps après, il a contacté le consulat de France à la Nouvelle-Orléans pour qu’il transmette son désir d’honorer un poète qui écrit dans un français qui avait quitté la France depuis bien longtemps.

Les Français qui sont venus coloniser l’Amérique du nord et qui sont devenus les Acadiens sont originaires de la région du Poitou. Même si la colonie de l’Acadie a été créée en 1604, les 300 premiers colons permanents sont arrivés à la Hève en juillet 1632 sous la commande d’Isaac de Razilly. Quant au pays qui est devenu le Québec, l’histoire enregistre les noms de Louis Hébert et de Marie Rollet comme les premiers colons, arrivés tous les deux avec leurs trois enfants en 1617. Je donne ces détails historiques pour souligner le fait que le français est arrivé en Amérique du Nord avant que l’Académie ne commence à décider ce qui est du bon français et ce qui ne l’est pas.

On n’a toujours pas de Louisianais à l’Académie, mais on frappe à la porte. En plus de Laferrière et Djebar, j’ai eu la plaisir de faire la connaissance de deux autres académiciens lorsqu’ils étaient en visite au Bâton Rouge : Xavier Darcos, ancien ministre de l’éducation nationale et René Girard, le philosophe. L’Académie est consciente que la francophonie en Louisiane est vivante et vivace. Et que son français est normal et que la poésie de Kirby Jambon est parfaite.


2 commentaires:

  1. Je voudrais bien acheter ces deux ouvrages (école Gombo et Petites communions), j'arrive pas à les trouver en France...

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  2. Oui, le français est bien parlé en Louisiane et ce depuis longtemps. J'espère qu'un jour la francophonie de ce bel Etat sera reconnue par les instances officielles. Lâche pas la patate !

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