lundi 29 avril 2013


Le Niveau de la Mer: 5è partie

En ouvrant la porte, il a découvert non pas son ennemi public numéro un avec une facture pour les dégâts qu’il aurait faits, mais une espèce de souris blonde trempée jusqu’aux os. Vu son épaisseur, ce n’était pas un très long voyage. Il l’a reconnue de sa classe d’histoire louisianaise. Ils s’étaient vus une paire de fois lors des sorties dans les bars nombreux qui entouraient le campus. Quand quelqu’un plaît à quelqu’un d’autre il y a en général un trait en particulier qui permet de dire, « Voilà ce que j’aime d’elle. » Souvent ce sont les seins ou les jambes, le nez ou les yeux. Ça peut être la démarche ou sa façon de jouer au tennis, le rire ou le port de tête. La souris n’avait rien de tout ça, il aurait fallu beaucoup d’imagination pour dire qu’elle était belle, tout juste peut-être jolie. Il sentait une attraction implacable pour elle. Ce qui lui plaisait chez elle, c’était sa voix. Elle était couleur de miel.
« Bonjour, a-t-elle dit dans son accent sudiste, je t’ai entendu crier dehors et j’ai pensé passer te voir. » Elle tenait ce qui était visiblement des livres dans un sac en plastique. « As-tu fini ton papier sur Long? »
« Demande-moi plutôt si je l’ai seulement commencé. »
« Ça ne m’étonne pas de toi. Je vois comme tu t’endors en classe trois fois par semaine. »
« Huit heures du matin n’est pas ma meilleure heure de la journée. Mais c’était la seule heure où le cours était offert et c’était mon dernier cours obligatoire avant de graduer. »
« Alors, il te faut écrire ce pour papier pour demain matin si tu veux ton diplôme. Moi, j’ai fini le mien il y a trois jours. »
« Je te déteste. »
« Peut-être tu pourrais m’aimer mieux si je t’aidais. Le veux-tu? »
« Je veux bien, Sherry. Pourquoi pas? »
« Oh, je l’adore quand tu prononces mon nom comme si c’était français. C’est vrai ce qu’on dit de vous autres Cadiens. Vous savez parler aux femmes. Au fait, quand ma mère était enceinte de moi, le pasteur l’a fait boire un petit verre de sherry. Elle l’a tellement aimé qu’elle a dit que si j’étais une fille, elle m’appellerait Sherry. Je n’avais jamais aimé mon nom avant de t’entendre le dire avec ton accent cadien. C’est beaucoup plus joli comme ça. »
« C’est gentil de ta part, mais s’il y avait une chose que je voudrais changer de moi, ce serait mon accent. »
« Pourquoi? »
« Parce que j’aurai du mal à trouver de l’ouvrage ailleurs que sur le bayou et mon Dieu, j’ai hâte de quitter le bayou. Je vais finir cette année, je vais aller à la fac de droit en ville et après ça, je vais être un gone pecan. De toute façon, je ne parle pas français, malgré ce que tu entends dans mon accent. Je ne suis pas toujours sûr que c’est de l’anglais que je parle. Je suis drôle comme ça. »
« Moi, je t’aime exactement comme tu es. »
Téléguidé par il ne savait quelle envie, il s’est subitement penché pour presser ses lèvres contre les siennes à elle. Ses grands yeux bleus l’ont regardé avec un mélange de surprise et de joie.
« Que je suis bête. Je ne t’ai même pas offert une serviette pour te sécher. Tu vas attraper froid, Sherry. »
Sous ses vêtements mouillés, il devinait le contour de deux pointes qui se durcissait. Elle a suivi son regard.
« Oui, tu as raison, je commence à avoir froid. Peut-être il faut sortir de ce linge trempé pour me réchauffer un peu. »
Cette fois, c’est elle qui presse son visage contre le sien à lui. Elle a fermé ses yeux et ses longs bras maigres, chatoyant de goutes d’eau, se sont enveloppé autour de son cou. Il déboutonnait, doucement, tout doucement, sa chemise.
« Et Huey P. Long? » a-t-elle dit en reprenant son souffle.
« Huey P. Qui? Ah oui, de toute façon, on a encore – il regarde le réveil posé à côté de son lit – on a encore dix-sept heures et demie. Tu sais que je n’ai jamais fait l’amour à une Texienne. »
« Et moi, je n’ai jamais fait l’amour à un Cadien. »
« Première fois pour tout. »
« Première fois pour tout. »
Dehors, la pluie s’était ralentie, sans s’arrêter tout à fait. Son battement contre la vitre se synchronisait au rythme de leur corps, le vent s’harmonisait avec leur soupir. À la radio, quelqu’un tuait Roberta Flack doucement avec sa chanson.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire