vendredi 26 avril 2013

Le Niveau de la Mer. 3è partie


Debout sur la galerie du « Kajun Motel », il scrute le ciel. À l’ouest, la lune est proche couchée après sa traversée nocturne; à l’est, le soleil est sur le point de se lever. Il sort son mouchoir de poche, un bandana rouge à vrai dire, et s’essuie le front. Il fait chaud déjà. Il a l’impression de sentir du café et d’entendre une radio jouer de la musique cadienne à l’intérieur.
« Y a quèqu’un? Ej peux erentrer? »
Pas de réponse.
Il entre quand même et se fait immédiatement assailli par l’immobile confusion des murs entièrement recouverts par des cartes de visites du monde entier. Une mémoire vivante, des archives intarissables.
Dehors, il entend l’enfant qui l’appelle par son prénom. « Je souhaite que cette badgeuleuse de Marie ne l’a pas réveillé. Sinon, elle va m’entendre celle-là. »
L’enfant sort de la voiture pour voir un chaoui entrer en se pressant dans le creux d’un chêne gris. Il ne connaît pas le mot chaoui, alors il appelle le raton-laveur « Bandit ».
« Soif, il dit, j’ai soif » et s’appuie contre la machine de Pepsi.
L’homme fouille dans la poche de son 501 tout neuf et produit les six escalins que la machine requiert. « Ça c’est drôle, il me semble que ça coûtait une piastre la dernière fois, il y a si longtemps. » Il introduit les trois pièces d’argent frappées d’un aigle à tête blanche dans la machine. « Tu veux la même chose? » demande-t-il inutilement. Il ne se retourne pas pour voir son enfant dire oui de la tête.
Il lui tend la bouteille de Barq’s Root Beer. L’enfant l’attrape et l’ouvre avec le décapsuleur cloué contre le mur. La capsule tombe dans une vieille boîte jaune de Golden Key Coffee avec tant d’autres. L’enfant boit goulûment, une rigole dégouline du coin des lèvres.
« Et où est-ce qu’on est rendu? »
« Tu vas voir, mon petit, tu vas voir. »
L’homme implore Marie du regard; elle préfère ne rien dire à l’enfant.
« Et alors? » dit l’enfant
« Va chercher les valises, mais fais doucement, tu veux pas réveiller l’ours qui dort. »
« On est chez Smokey the Bear? »
« Non, pire que ça. On est chez nous. »
Marie les regarde monter les escaliers et fonce les sourcils. « Il ne pense jamais à baisser une vitre. »

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire