Il y a un peu plus d’un an, « Le Dictionnaire du français louisianais
tels qu’il est parlé dans les communautés cadiennes, créoles et
amérindiennes » a paru. Rien qu’en lisant le
titre, on a une idée de la portée monumentale de cette œuvre. C’est le fruit de
plusieurs années de recherches, de réflexion et de discussion sur les origines,
l’orthographe et la représentation visuelle de ce qu’on peut appeler le
français louisianais. Il peut paraître drôle qu’il a fallu plus de trois cents
ans depuis qu’on parle français en Louisiane pour qu’un livre d’une telle
envergure voit le jour. Certes, il existe des prédécesseurs célèbres, comme le
dictionnaire du français cadien du Père Daigle et le manuel scolaire,
« Notre langue louisianaise » de Gelhay et Marcantel, mais jusqu'à
présent, on n’avait jamais assemblé une équipe de linguistes et de
lexicographes professionnels pour créer un dictionnaire à la hauteur de nos espoirs.
Le français louisianais, donc. Qu’est-ce que c’est? Ou
devrais-je dire : Quoi c’est ça?, comme on dirait aux alentours de
Lafayette? Ou encore : Qui c’est que ça?, comme le monde de Lafourche et
Terrebonne, par exemple dirait? Voilà la complication quand on parle de
français louisianais. D’un bord de l’Atchafalaya, un mot désignant une tortue
de mer peut choquer des oreilles sensibles sur l’autre bord. Ce dictionnaire
tente de démêler toutes ces différences régionales sans pour autant nier que le
français louisianais soit une langue cohésive et surtout cohérente.
Le français louisianais existe. Qu’on dise cocodrie ou caïman, cocodinde
ou basanure, cofaire ou pourquoi, nous avons cultivé non seulement une façon de
parler unique au monde, mais une culture qui donne une qualité de vie qui
attire des journalistes, des touristes et des curieux du monde entier. Si notre
culture est comparée à un gombo, comme c’est souvent le cas, je suis convaincu
que le français louisianais est le roux. Pour ceux qui viennent nous rendre
visite, ils rêvent de revenir le plus vite possible, même ne plus jamais
repartir. Pour ceux qui sont nés et élevés ici, il est presque impossible de
vivre ailleurs.
Afin d’assurer que la Louisiane demeure francophone, le Conseil pour le
développement du français en Louisiane, le CODOFIL, coopère depuis quarante ans
avec plusieurs pays francophones, notamment la France, la Belgique et le
Canada, pour réapprendre cette langue qui nous a été littéralement extrait à
coups de fouets. Il est évident que les maîtres d’écoles venus d’ailleurs ne peuvent
enseigner que le français qu’ils connaissent. D’où les accusations que le
CODOFIL n’enseigne pas le français louisianais. Les enseignants enseignent le
français. C’est aux Louisianais de le rendre nôtre.
Cette question ne semble pas se poser pour l’anglais. Les Américains du
nord au sud, de l’est en ouest ont des accents et des expressions différents. D’autres
Anglophones ont des manières de parler qui les distinguent non seulement les
uns des autres, mais aussi entre eux au sein d’un même pays. Et pourtant, on ne
demanderait jamais à un professeur d’anglais qui fait lire Hamlet à ses élèves américains pourquoi il enseigne l’anglais de
l’Angleterre. Ou Things Fall Apart,
l’anglais du Nigéria. Non, tout le monde est d’accord que c’est de l’anglais,
un point, c’est tout. Pourtant, on célèbre la diversité des cultures qu’on
trouve dans le monde anglophone, mais la spécificité louisianaise reste
problématique pour certains.
Récemment, j’étais au Downtown
Alive! à Lafayette pour écouter le « super groupe » cadien High Performance. Tout le monde dansait
et s’amusait. En regardant des jeunes, des moins jeunes, des amis, des
étrangers, des locaux et des touristes devant cette musique autrefois
considérée comme du « chanky-chank », une question s’est manifestée
dans mon esprit : Si le CODOFIL et le mouvement de renouveau et de fierté
pour la langue et la culture francophones de Louisiane n’avait pas commencé
dans les années soixante, qu’est-ce qu’on serait après écouter? Où seraient tous
ces gens? À Atlanta, Houston ou Memphis? Probablement. Est-ce qu’ils sauraient
faire un roux, danser la valse cadienne ou chanter Jolie Blonde? Probablement pas. Et est-ce qu’ils connaîtraient le
sens du mot couillon? Probablement
pas, mais c’est ce qu’on serait devenus pour avoir complètement oublié le
français louisianais.
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