vendredi 12 avril 2013

Le Dictionnaire Franco-louisianais, publié le 1er février 2011 dans Acadiana Profile


Il y a un peu plus d’un an, « Le Dictionnaire du français louisianais tels qu’il est parlé dans les communautés cadiennes, créoles et amérindiennes » a paru. Rien qu’en lisant le titre, on a une idée de la portée monumentale de cette œuvre. C’est le fruit de plusieurs années de recherches, de réflexion et de discussion sur les origines, l’orthographe et la représentation visuelle de ce qu’on peut appeler le français louisianais. Il peut paraître drôle qu’il a fallu plus de trois cents ans depuis qu’on parle français en Louisiane pour qu’un livre d’une telle envergure voit le jour. Certes, il existe des prédécesseurs célèbres, comme le dictionnaire du français cadien du Père Daigle et le manuel scolaire, « Notre langue louisianaise » de Gelhay et Marcantel, mais jusqu'à présent, on n’avait jamais assemblé une équipe de linguistes et de lexicographes professionnels pour créer un dictionnaire à la hauteur de nos espoirs.
Le français louisianais, donc. Qu’est-ce que c’est? Ou devrais-je dire : Quoi c’est ça?, comme on dirait aux alentours de Lafayette? Ou encore : Qui c’est que ça?, comme le monde de Lafourche et Terrebonne, par exemple dirait? Voilà la complication quand on parle de français louisianais. D’un bord de l’Atchafalaya, un mot désignant une tortue de mer peut choquer des oreilles sensibles sur l’autre bord. Ce dictionnaire tente de démêler toutes ces différences régionales sans pour autant nier que le français louisianais soit une langue cohésive et surtout cohérente.
Le français louisianais existe. Qu’on dise cocodrie ou caïman, cocodinde ou basanure, cofaire ou pourquoi, nous avons cultivé non seulement une façon de parler unique au monde, mais une culture qui donne une qualité de vie qui attire des journalistes, des touristes et des curieux du monde entier. Si notre culture est comparée à un gombo, comme c’est souvent le cas, je suis convaincu que le français louisianais est le roux. Pour ceux qui viennent nous rendre visite, ils rêvent de revenir le plus vite possible, même ne plus jamais repartir. Pour ceux qui sont nés et élevés ici, il est presque impossible de vivre ailleurs.
Afin d’assurer que la Louisiane demeure francophone, le Conseil pour le développement du français en Louisiane, le CODOFIL, coopère depuis quarante ans avec plusieurs pays francophones, notamment la France, la Belgique et le Canada, pour réapprendre cette langue qui nous a été littéralement extrait à coups de fouets. Il est évident que les maîtres d’écoles venus d’ailleurs ne peuvent enseigner que le français qu’ils connaissent. D’où les accusations que le CODOFIL n’enseigne pas le français louisianais. Les enseignants enseignent le français. C’est aux Louisianais de le rendre nôtre.
Cette question ne semble pas se poser pour l’anglais. Les Américains du nord au sud, de l’est en ouest ont des accents et des expressions différents. D’autres Anglophones ont des manières de parler qui les distinguent non seulement les uns des autres, mais aussi entre eux au sein d’un même pays. Et pourtant, on ne demanderait jamais à un professeur d’anglais qui fait lire Hamlet à ses élèves américains pourquoi il enseigne l’anglais de l’Angleterre. Ou Things Fall Apart, l’anglais du Nigéria. Non, tout le monde est d’accord que c’est de l’anglais, un point, c’est tout. Pourtant, on célèbre la diversité des cultures qu’on trouve dans le monde anglophone, mais la spécificité louisianaise reste problématique pour certains.
Récemment, j’étais au Downtown Alive! à Lafayette pour écouter le « super groupe » cadien High Performance. Tout le monde dansait et s’amusait. En regardant des jeunes, des moins jeunes, des amis, des étrangers, des locaux et des touristes devant cette musique autrefois considérée comme du « chanky-chank », une question s’est manifestée dans mon esprit : Si le CODOFIL et le mouvement de renouveau et de fierté pour la langue et la culture francophones de Louisiane n’avait pas commencé dans les années soixante, qu’est-ce qu’on serait après écouter? Où seraient tous ces gens? À Atlanta, Houston ou Memphis? Probablement. Est-ce qu’ils sauraient faire un roux, danser la valse cadienne ou chanter Jolie Blonde? Probablement pas. Et est-ce qu’ils connaîtraient le sens du mot couillon? Probablement pas, mais c’est ce qu’on serait devenus pour avoir complètement oublié le français louisianais.

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