On n’est
pas des bêtes. Publié en avril-mai 2013 dans Acadiana Profile.
Un
petit film tourné dans les bayous a ravivé la question de notre image projetée
sur le grand écran. Les bêtes du sud
sauvage a pris la critique par surprise avec sa jeune interprète Quzenzhané
Wallis dans le rôle de Hushpuppy Doucet. Les réactions positives semblent
quasi-universelles, couvrant de louanges cette œuvre, le premier long métrage
du metteur en scène, Behn Zeitlin, pour sa poésie lyrique et son aspect
onirique. Il s’est inséré pendant un an dans la vie des habitants d’Île à Jean
Charles, ce soupçon de village qui a servi d’inspiration pour la Baignoire, le cadre du film. Il est
arrivé comme soufflé par les vents de Katrina pour comprendre cette région et
le monde qui l’habite. De ces longues fiançailles est né le dernier d’une
longue série de films qui porte un regard d’extérieur sur nous.
Ce
n’est pas la première fois que la géographie exotique et le peuple unique de la
Louisiane a attiré l’attention des praticiens du 7è art. Le tout premier Tarzan des singes a comme décor non pas
l’Afrique, mais les marécages près de Morgan City. Ce film muet a initié une sorte
de tradition hollywoodienne de faire le voyage relativement court et moins cher
jusqu’à chez nous quand on cherchait un paysage lointain. Delores Del Rio est
venue pour incarner Évangeline, notre héroïne nationale malheureuse. La
« forêt primordiale » qu’on cherchait était bien celle de la
Louisiane. Néanmoins, notre état était d’ores et déjà établi dans l’imaginaire
cinématographique américain comme un pays étrange et étranger.
Louisiana Story de Robert Flaherty est sorti après
la 2è Guerre Mondiale. Auparavant, il avait tourné Nanook du Nord, un film muet que certains considèrent comme un documentaire,
même si Flaherty est accusé d’avoir mis en scène certaines séquences. Louisiana Story, aussi présentée comme
un documentaire, est, au mieux, une fable sans intérêt sur la vie d’un jeune
garçon cadien et son chaoui domestique, ou, au pire, de la propagande payée par
l’industrie pétrolière pour vanter les bienfaits du forage. Que ce soit l’un ou
l’autre, cette histoire n’est pas vraiment la nôtre. La réputation des Cadiens
comme des tueurs invétérés du marécage épais et hostile jaillit sur le grand
écran juste au moment où la nation découvre la culture cadienne avec la sortie
de Southern Comfort. Encore
aujourd’hui nous avons du mal à nous défaire de cette image de Délivrance sur le bayou. Depuis, il y a
des exemples positifs de notre culture.
Avec
Bélizaire le Cadien de Glen Pitre, on
commence à faire des films par nous et pour nous. C’était une production qui
tentait de refléter ce que la culture cadienne avait à l’intérieur et le
projeter vers le monde extérieur. Depuis, on a eu plusieurs films et
documentaires dans cette même veine, notamment les travaux de Pat Mire ou de
Connie Castille. On présentait enfin notre culture telle qu’on la vivait.
Et
puis il y a eu Les bêtes du sud sauvage.
Ce film m’a rendu physiquement et moralement malade. Peut-être l’effet voulu
était-il d’imiter les bercements d’un navire ivre qui se balançait au gré des
flots, ainsi symbolisant un pays à la dérive. Plusieurs personnes, moi y
compris, ont dit avoir eu le mal de mer. Mon malaise ne venait pas tellement
des secousses de la caméra, mais de l’histoire qui se déroulait devant mes
yeux : un peuple qui refusait la technologie jusqu’au point de pêcher à la
main, une fille qui habitait séparée de son père, une mère qui avait abandonné
sa famille pour rejoindre un bordel, des gens qui se soûlaient toute la journée
et tout le monde qui vivait dans une crasse immonde. Non, c’était trop pour
moi, malgré la poésie de Hushpuppy et la participation de beaucoup de gens que
je connais personnellement. C’était comme si plus de vingt-cinq ans de
réhabilitation de l’image des Louisianais du sud a été balayée d’un coup. C’est
une allégorie, certes, mais la réalité de la chose est qu’on est encore une
fois présenté, comme le titre l’indique, comme des bêtes du sud sauvage. Je
souhaite une longue carrière réussie à tout le monde associé à ce film, mais j’aurais
aimé une autre image parce qu’on n’est pas des bêtes.
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