mardi 1 octobre 2013

Qu’est-ce qu’un Créole? Publié dans Acadiana Profile le 1er octobrre 2013.

C’est une question qui semble avoir autant de réponses que de monde qui répond. Une interminable discussion typique autour d’une table recouverte des vieilles gazettes et des boisseaux de crabes peut se mettre en route avec des questions telles que : Qui était le meilleur quarterback de LSU?, ou, Quel était la meilleure place pour acheter du boudin? Les gens vont discuter pendant des heures sans jamais trouver un consensus. Pourtant, les discours les plus passionnés, et souvent les moins bien informés, tournent souvent autour de la question, Qu’est-ce qu’un Créole?  

On peut dire que le mot créole est né d’un malheur. Son origine exacte est disputée autant que sa signification. Certains disent qu’il vient de l’espagnol criollo, selon Les Commentaires royaux de Garcilaso de la Vega de 1609. « Les enfants des Espagnols qui sont nés aux Indes sont appelés criollo ou criolla ; les nègres donnaient ce nom aux enfants qui leur étaient nés aux Indes, pour les distinguer de ceux qui étaient nés dans la Guinée.... les Espagnols ont emprunté d'eux ce nom. » Le dictionnaire Littré définit créole comme « un homme blanc ou une femme blanche originaires des colonies. » Littré dispute l’origine latine de créole, du verbe creare ou créer, car « si on le fait venir de l'espagnol criar, élever, nourrir, la formation est tout à fait irrégulière ; d'autres prétendent que c'est un mot caraïbe ; l'Académie espagnole dit que c'est un mot inventé par les conquérants des Indes occidentales et transmis par eux. » D’autres disent que le terme est plus ancien et s’appliquait uniquement aux esclaves noirs qui sont nés dans les colonies pour les distinguer de ceux qui sont arrivés directement de l’Afrique. Quoi qu’il en soit, le mot créole a été forgé au creuset du colonialisme, de l’esclavage et de ce que Charles C. Mann appelle « le nouveau monde créé par Cristobal Colón », c'est-à-dire la rencontre de l’Afrique et l’Europe en Amérique.

On sait qu’en Louisiane avant la Guerre des Confédérés, les gens se divisaient en trois : les Blancs, les Noirs et les Gens de couleur libres. Dans cette dernière, il y avait d’autres sous-divisions d’une complexité étonnante. Pour se différencier des « Américains » d’origine anglo-saxonne, les Blancs d’origine française ou espagnole se disaient Créoles. Dans un sens, ils étaient tous des Créoles : Noirs, Blancs ou entre les deux, ils sont tous nés au Nouveau Monde, sans parler des Amérindiens qui s’y mêlaient aussi. Cependant, il y a une différence qui fait que les Créoles viennent d’une même expérience. Il suffit de dire que, de manière générale, les Blancs et les Gens de couleur libres avaient quelque chose en commun qu’ils ne partageaient pas avec les Noirs : la liberté. Quoique d’une classe intermédiaire entre les deux autres et donc d’un niveau socialement inférieur, les Gens de couleurs n’étaient pas la propriété de quelqu’un d’autre. C’était dans cet espace de liberté que la culture créole, chez les Blancs tout comme chez les Gens de couleur, s’est développée en Louisiane. Il est sûr que plusieurs blancs étaient réduits en état de servitude, certains gens de couleur libres possédaient des esclaves et quelques Noirs n’étaient pas esclaves. Après la guerre, les Gens de couleur libres, malgré la fusion dans la catégorie de Noirs, ont gardé le souvenir de leur passé prestigieux et l’ont perpétué.

Les relations douloureuses entre les gens de cette période qui va de Jim Crow jusqu’au mouvement des droits civiques ont créé de nouvelles divisions. Petit à petit, les Blancs francophones sont devenus tous Cadiens, même s’ils ont très peu ou pas d’ancêtres acadiens, et tous les Noirs francophones sont devenus des Créoles. Notre histoire nous dit que ce n’est pas si simple. On ferait bien de se rappeler que même si on se dit Cadien, on est quelque part Créole aussi. Aujourd’hui, créole est une attitude, une approche à la vie et un sens de famille et de communauté plus que la quantité de mélanine qu’on a reçu avec ses chromosomes. C’est une sensibilité qui dépasse les souffrances d’autrefois pour accoucher d’une tolérance et d’une compréhension sans pareille de la condition humaine. Être créole, c’est la liberté.