samedi 1 octobre 2016

La confrérie de la chaudière noire -- Publié dans Acadiana Profile oct-nov 2016

La confrérie de la chaudière noire

Dans la cuisine de tout sud-louisianais qui se respecte, on peut s’attendre à trouver un certain nombre d’ustensiles parmi sa panoplie : une cuillère en bois exclusivement pour faire le roux, un cuiseur de riz grand format et l’omniprésent rôtissoire Magnalite© ; tous les outils indispensables à la confection d’un rôti de canard, d’une sauce piquante ou d’un jambalaya. Celui qui élicite sans doute la plus grande nostalgie auprès de ceux qui comme moi ont grandi dans une de ces cuisines est aussi lourd symboliquement que physiquement. On a tous probablement des souvenirs d’enfances de poisson, de poulet ou de pâte à pain après frire dans une poêle en fonte et des arômes associées. Si la métaphore de notre culture est le gombo, la chaudière noire en fonte est le vaisseau par lequel il est engendré.

L’entretien correct de la chaudière noire sollicite des opinions aussi diverses que passionnées. On dit qu’il ne faut jamais utiliser du savon pour la nettoyer, seulement de l’eau chaude. D’autres conseillent de la frotter avec du sable. J’ai interrogé un ami qui a l’habitude de cuisiner des quantités industrielles de gratons ou de jambalaya dans sa pesante chaudière noire sur sa façon de la garder propre. En guise de réponse, il m’a montré une bouteille de liquide-vaisselle qu’il allait verser dans la chaudière une fois la cuisson terminée pour la nettoyer. J’ai souvent goûté son manger et je ne trouve aucun goût résiduel, mais je comprends que les puristes vont continuer à bannir toute forme de savon. La vraie astuce, dit-il, c’est de frotter le fer avec de l’huile de cuisine après l’avoir propté et de le chauffer bien avant de recommencer pour brûler les impuretés. C’est une façon de respecter la chaudière noire comme il se doit, sans la laisser rouiller.

Si on aime quelque chose assez en Acadiana, on va lui donner son propre festival. Selon la tradition en automne, on célèbre une grande variété de nourriture plus ou moins au moment de la récolte. Les villages sont étroitement identifiés avec ces festivals. Celui du riz à Crowley, du gombo à Chackbay ou de la canne à sucre à la Nouvelle-Ibérie témoignent autant de notre volonté de se récompenser d’un travail bien fait que de s’amuser avec la même ferveur. Cela dit, et corrigez-moi si je me trompe, mais je ne connais pas de festival dédié à un ustensile de cuisine à part le Festival de la Chaudière noire à Lafayette fin octobre. En peu d’années – on compte la onzième édition cette année – ce festival s’est démarqué des autres à plusieurs égards grâce à la vision de ses fondateurs et la joyeuse bande d’amis musiciens, danseurs et cuisiniers qui les entourent. Dire que le Festival de la Chaudière noire n’est pas comme les autres ne commence même pas à décrire son originalité.


La genèse du festival était un mélange d’influences se fusionnant autour des membres du groupe légendaire Red Stick Ramblers avec le musicien folk Jay Ungar comme catalyseur. Quand les Ramblers lui ont dit combien ils appréciaient son camp culturel, Ashokan où se produisent quantité d’artistes louisianais, le violoniste célèbre leur a lancé le défi de commencer leur propre festival. Comme par combustion spontanée l’idée de l’appeler la Chaudière noire est venue et le plat a commencé à mijoter. Depuis, une rencontre des musiques traditionnelles américaines, allant du bluegrass au gospel, et les musiques louisianaises avec la danse et la cuisine à la sauce des jeunes louisianais, a créé un festival sans pareil. On a des concours de cuisine qui comportent de la musique et on a des festivals de musique avec la cuisine à côté. L’originalité de la Chaudière noire, c’est de créer un espace où on peut combiner la musique, la danse et la cuisine mais aussi où on peut camper ou apprendre à jouer avec des maîtres dans leur art. Plusieurs participants restent près de leur tente à faire leur propre musique autour d’un feu, mangeant à la bonne franquette. Le Festival de la Chaudière noire a su trouver une niche originale dans un calendrier rempli de festivals. Avec toute cette jeunesse créatrice à s’affairer autour, la chaudière noire ne risque pas de se laisser rouiller de sitôt.