vendredi 1 avril 2016

Napoléon et le Code civil - publié dans Acadiana Profile avril-mai 2016

Napoléon et le Code civil

Considérée comme une des pièces du théâtre américain au XXe siècle des plus importantes, et certainement une des plus célèbres, « Un tramway nommé Désir » de Tennessee Williams met en scène la lente dégradation d’un couple néo-orléanais Stanley Kowalski et sa femme Stella, née DuBois. Au début de ce drame, Stanley lui demande si elle n’a jamais entendu parler du code Napoléon. Devant sa réponse négative, il commence à l’éclairer sur un des principes fondamentaux de ce système, la communauté des biens dans le mariage. « En Louisiane, on a le code Napoléon selon lequel ce qui appartient à la femme appartient au mari et vice-versa. » En effet, la Louisiane fonctionne sur un régime juridique différent de celui du reste des États-Unis. Grâce à « Tramway », en plus de la langue française, du Mardi Gras et de la cuisine succulente, l’Amérique sait qu’une autre particularité de la Louisiane est notre système légal, et ce, selon la tradition, à cause de Napoléon Bonaparte.

Seulement, ce n’est pas tout à fait vrai. Ce qu’on appelle le code civil a ses origines dans la codification du droit romain sous l’Empereur Justinien I au VIe siècle. Parmi ses accomplissements, Justinien a réunifié l’empire romain depuis sa capitale de l’époque, Constantinople. Comme lui, Napoléon a réussi à créer son empire sous l’égide d’un système uniforme de lois qui éliminait les différences régionales pouvant nuire au bon fonctionnement du commerce et de la vie politique sur l’ensemble du territoire conquis. D’accord, la Grande Armée a un peu contribué à l’unification des peuples divers, de la même manière que Justinien a profité des victoires militaires de son général Bélisaire pour rassembler son empire. Néanmoins, l’idée que la loi primaire soit une expression législative écrite, et non pas le résultat d’une longue série de jugements et de précédents, nous démarque du monde anglo-saxon, c'est-à-dire du reste des États-Unis, du Canada sauf le Québec, du Royaume-Uni et du Commonwealth où le common law règne suprême. La majorité des autres pays du monde sont sous une forme de droit civil.

Malgré son sobriquet, notre code civil doit plus à la Coutume de Paris et Las Siete Partidas espagnoles qu’au code Napoléon proprement dit qui fut promulgué le 21 mars 1804, un an après la vente de la Louisiane. Le premier code louisianais est le Digeste de la Loi Civile, proclamé le 31 mars 1808 et rédigé par Brown, Livingston et Moreau-Lislet. Ce digeste s’inspire des travaux qui ont conduit au code Napoléon, mais ce n’est pas exactement le même. Le premier code civil après notre entrée dans l’union américaine, rédigé en anglais et en français, fut publié le 12 avril 1824, dix ans et un jour après la mort du Petit Caporal.

La beauté de la langue du code dans sa clarté et sa précision est attestée par un maître du style, Stendhal. Dans une lettre à Balzac, lui-même pas mal comme écrivain français, il disait que tous les jours pendant l’écriture de La Chartreuse de Parme il lisait deux ou trois pages du code afin d’imiter son style. Aujourd’hui encore, on doit se référer à la version française originale en cas de dispute sur le sens d’un article qui en était traduit. Le français n’est pas un vice de forme, c’est-à-dire qu’un testament ou un contrat rédigé en français en Louisiane ne peut pas se faire invalider sur le seul fait d’être écrit en français. Si les lois louisianaises doivent être promulguées en anglais, elles peuvent l’être aussi en français, comme les contrats et les testaments. Le français est la langue de travail du CODOFIL. C’est grâce à ces traditions et ces lois qu’on peut dire que le français jouit d’un statut légal et officiel qu’il n’a pas ailleurs aux États-Unis.


L’ombre de Napoléon continuent à peser lourd sur notre présent, de la Maison Napoléon dans le Vieux Carré construite dans l’espoir de l’accueillir un jour jusqu’au premier bateau de pêche motorisé, le Petit Caporal, qu’on peut toujours voir au village de mon enfance, Canal Yankee. Et chaque année pour l’insolite concours de « Stella! » lors du Festival Tennessee Williams, on peut remercier Stanley pour son cours sur le code Napoléon, avec une licence poétique.