lundi 2 juin 2014

Des chênes et des chiens

Des chênes et des chiens: Publié dans Acadiana Profile le 1er juin 2014

Le décès de George Rodrigue a suscité de nombreux éloges des quatre coins du globe pour honorer le talent et la générosité d’un maître de son art et de sa petite chienne, Tiffany. Il n’a pris l’animal domestique comme modèle que pour illustrer la légende du loup-garou. Elle est devenue la chienne bleue qui a conquis le monde. Moi, comme beaucoup de Louisianais, j’étais fier de voir cette chienne bleue (oui, c’est une femelle) représenter notre état. Elle validait notre culture à l’extérieur de notre petit pays des bayous, tout comme la musique et la cuisine de chez nous faisaient à peu près à la même époque, vers la fin des années quatre-vingts. Des musiciens cadiens jouaient de la musique cadienne à Paris; des cuisiniers créoles mijotaient de la cuisine créole à New York; de même, un artiste cadien créait de l’art cadien sur la scène internationale. Si l’idée est un peu vague et variable selon les régions et les époques, on a une petite idée de ce qui est et de ce qui n’est pas la musique cadienne, ou le zydeco, ou la cuisine créole. Certains éléments de base, comme le roux, la « sainte-trinité », le violon, le ti-fer, le frottoir, ou l’accordéon, appartiennent à telles ou telles expressions culturelles et pas à d’autres. Mais puisqu’on regrette le départ de George Rodrigue, la question se pose : Au fait, qu’est-ce que l’art cadien ou créole? Existe-il seulement?
Curieux de rassembler quelques éléments de réponse, j’ai posé cette même question à plusieurs artistes locaux qui, selon rien d’autre que mon opinion personnelle, pourraient se catégoriser comme artistes cadiens ou créoles. L’un des plus connus m’a répondu le suivant: « Je ne dirais pas qu’il y ait un genre d’art cadien ou créole, mais il y a beaucoup d’art différent fait par des Cadiens et des Créoles. Donc c’est un amalgame d’ouvrages, avec des styles variés et sans beaucoup de cohésion. » Bon, d’accord, mais cela me fait penser à la vieille histoire des daiquiris cadiens. À l’entrée de Maurice, il y a « Harold’s Cajun Daiquiris ». Un jour, quelqu’un a demandé au propriétaire qu’est-ce qui fait qu’un daiquiri soit cadien. Sa réponse : « Mais, je suis Harold. Je suis cadien et je les fais. Ça fait que c’est des daiquiris cadiens. » Il y a peut-être une manière de les faire à la cadienne, mais est-ce que ce n’est pas quelque chose de plus? Certes les Cadiens n’ont pas inventé l’oignon ou le poivre, pas plus que les Impressionnistes n’ont pas inventé les pastels ou le pinceau. Et même quand ce n’est pas fait par une Cadienne ou un Créole, on reconnaît un bon gombo ou une valse entraînante bien de chez nous. Je maintiens qu’il est possible de la même façon de reconnaître l’art cadien ou créole.
« D’abord, pour moi, être une artiste cadienne m’oblige à m’enraciner dans mon héritage ancestral, » m’a répondu Melissa Bonin. « On croit simplement des choses qu’on ne peut pas expliquer et on n’a pas de problème à l’admettre. Il y a des nuances d’être cadien et elles sont reconnues par des visiteurs qui affluent du monde entier pour s’en rapprocher. C’est quelque chose que je trouve difficile à articuler, mais je sais que c’est précieux. ». On arrive plutôt dans le royaume des images qui composent l’imaginaire louisianais. Ce n’est pas un hasard que Tiffany est devenue un loup-garou. Il est à part entière de notre folklore. Ou qu’Elemore Morgan, Jr. peigne des savanes resplendissantes et que Floyd Sonnier dessine des scènes de vie rurale. C’est autant le sujet – un grand repas familial comme le dîner d’Aioli de Rodrigue, des puits d’huile derrière l’Accordéoniste cowboy cadien de Francis Pavy ou les coureurs de Mardi Gras de Herb Roe, – que l’esprit derrière qui définissent l’art louisianais. Bonin le résume bien. « J’aspire d’avoir la même magie derrière mes images que celle qu’on ressent devant un masque tribal africain. Après tout, comme disait Elemore Morgan, Jr., on est de la tribu ». Alors, l’art cadien ou créole existe-t-il? Il existe dans le choix et la qualité des ingrédients et le génie de l’artiste, la combinaison desquels est indéniablement reconnue comme étant née de nos traditions.