jeudi 1 juin 2017

Jean-Jacques Audubon, le Créole aux oiseaux. Publié dans Acadiana Profile, juin-juillet 2017

Jean-Jacques Audubon, le Créole aux oiseaux

Grandissant dans la pointe sud-est du triangle d’Acadiane, la gravité culturelle de la Nouvelle-Orléans exerçait une grande attraction sur mon esprit. Pour les enfants, une visite au Zoo Audubon représentait une aventure sans parallèle. On se bousculait pour atteindre le point culminant de la ville, du moins le croyait-on, la Colline des Singes; on s’émerveillait à voir les éléphants cracher de l’eau de leurs longues trompes; on se faisait photographier, l’air ravi, sur le dos d’un ours empaillé. Devant tous ces prodiges, on n’a guère eu de pensée pour le monsieur qui a transformé notre façon de voir la nature et particulièrement les oiseaux. Ce n’était que des années après que le nom John James Audubon, prononcé d’une telle façon que ses origines françaises étaient occultées, a commencé à avoir un sens pour moi et encore plus longtemps avant que je ne comprenne qu’au fait il s’appelait Jean-Jacques.

Né en 1785 aux Cayes à Saint-Domingue de l’époque, Haïti aujourd’hui, le Créole Jean-Jacques Audubon était le fils illégitime d’une Française, Jeanne Rabine, et d’un capitaine breton, Jean. Son père le ramène en France à Nantes où il est élevé par sa belle-mère, Anne Audubon. Très jeune, il montre un intérêt vif pour l’histoire naturelle, une passion qu’il a pu poursuivre dans la campagne bretonne aux alentours. En 1803, son père lui obtient un faux passeport pour qu’il puisse partir à l’étranger, s’échappant ainsi à la circonscription napoléonienne. Ayant contracté la fièvre jaune pendant le voyage, il se fait ramener à la santé par des Quakers en Pennsylvanie. C’est sur une ferme près de Philadelphie qu’il fait ses premières observations sur la vie des oiseaux. En nouant un fils sur la patte d’un moucherolle, considérer comme la première opération de baguage d’oiseaux en Amérique du nord, il remarque qu’il revient au même endroit chaque année. C’est là qu’il fait ses premiers dessins d’oiseaux aussi.

Malgré le fait d’avoir été un homme d’affaire réussi, il a néanmoins fait faillite un jour. Cela l’a décidé à poursuivre sa passion pour la nature et la peinture et en 1810, il descend le Mississipi. Sa technique pour saisir les images sur la toile donne un nouveau sens au terme nature morte. Utilisant des petits plombs, il tirait les oiseaux afin de ne pas les abîmer complètement. Ensuite, il mettait des fils en métal pour les maintenir dans les positions imitant leur façon de vivre dans un milieu naturel. Sa méthode produisait des peintures spectaculaires, mais elle incitait ses critiques à décrier sa poursuite d’espèces rares qui pouvait les pousser vers l’extinction. N’ayant pas d’autres sources de revenue, il continue à vivoter de commande en commande, ne trouvant pas d’éditeur en Amérique qui veut publier ses œuvres. En 1826, il arrive en Angleterre où il trouve des acheteurs prêts à payer le prix fort pour ses belles images exotiques d’une Amérique sauvage.

L’année suivante, Les Oiseaux d’Amérique paraissent à Londres et à Édimbourg et c’est un succès immédiat. Pendant onze ans, on sort une série de portrait d’oiseaux, dont une demi-douzaine sont aujourd’hui disparus, assurant la renommée d’Audubon. Il sillonne la Grande-Bretagne à la recherche de souscriptions, donnant des démonstrations sur sa façon d’exposer les oiseaux. Lors d’une de ces rencontres, un dénommé Charles Darwin était dans le public, encourageant sa carrière dans l’histoire naturelle. LSU au Bâton-Rouge possède une copie des quatre volumes qu’elle montre à la Journée Audubon de temps en temps, un peu comme une sainte relique.


Sa fortune est telle qu’un jour il a pu se procurer une propriété dans l’état de New-York sur le Hudson, aujourd’hui le Parc Audubon. Il est enterré sur l’île de Manhattan, loin de la Nouvelle-Orléans, loin des Caraïbes, loin de la Bretagne et loin de Londres. Ses oiseaux ont fait le tour du monde. Ayant fui les guerres de l’Empire français, Jean-Jacques, devenu John James, s’est fait un nom dans le monde anglophone qu’il n’aurait certainement jamais eu en France, même s’il avait survécu la guerre. Étienne de Boré, probablement, aurait toujours fait don de sa propriété qui allait devenir un parc et un zoo, mais je suis sûr que je n’aurais pas eu le même plaisir à observer les oiseaux sous les chênes du Parc De Boré.