lundi 30 juillet 2018

Barry Jean Ancelet/Jean Arceneaux : Le professeur, le loup-garou et le poète lauréat, publié dans Acadiana Profile août-sept 2018


Barry Jean Ancelet/Jean Arceneaux : Le professeur, le loup-garou et le poète lauréat

Aux débuts du CODOFIL, James Domengeaux n’a pas caché le fait qu’il privilégiait l’enseignement du français « standard » au français louisianais car ce dernier n’était pas une langue écrite. Malgré un passé littéraire qui comptait de nombreux écrivains talentueux, aucun Louisianais francophone n’avait publié depuis belle lurette. Un jeune activiste de l’époque qui plaidait pour le respect du français local devait admettre le manque d’écrits récents dans ce langage qui se transmettait de bouche à l’oreille depuis des générations, faute surtout d’éducation en français. Ne se laissant pas abattre, suite à une inspiration venant d’une lecture publique de poésie des plus grands poètes francophones en Amérique du Nord au Québec en juillet 1978, Barry Jean Ancelet commence à contacter d’autres activistes pour voir s’ils n’avaient pas quelques textes en français fourrés au fond de leurs tiroirs. Bientôt, il organise une version louisianaise de cette soirée québécoise, « Paroles et musique ». En peu de temps, il avait assez de textes et avec l’aide de son ami d’enfance Zachary Richard, il a trouvé un éditeur québécois qui voulait bien publier un recueil, « Cris sur le Bayou », où huit auteurs louisianais ont écrit en français. On peut y trouver des paroles de chansons, de la prose courte et, notamment, des poèmes d’un certain Jean Arceneaux dont un qui s’intitule « Schizophrénie linguistique », devenu célèbre par la suite.

Quand le livre sort, Ancelet prend une copie et se présente devant M. Domengeaux qui insiste toujours que le français de chez nous a moins d’intérêt car ce n’est pas écrit. Sur ce, Ancelet sort de derrière son dos sa copie et le lance sur le bureau en annonçant qu’asteur, c’était écrit. Interloqué, Domengeaux le ramasse, feuillète les pages et, au bout d’un moment, lui dit de partir en laissant le livre. Dans le temps de le lire, Domengeaux avait changé d’avis sur l’importance du français louisianais en voyant qu’il avait reçu ses lettres de noblesse de ses humbles écrivains en herbe. Depuis, il n’est plus question de douter du fait que ce français-là avait sa place parmi les autres variétés qu’on peut trouver partout dans le monde où le français se pratique à l’oral comme à l’écrit.

De la sorte, la publication de « Cris sur le Bayou » lance la carrière de deux écrivains : l’un s’appelle Barry Jean Ancelet, un universitaire qui écrit des livres érudits sur le folklore louisianais francophone; l’autre est Jean Arceneaux, un poète maudit dans le genre de Rimbaud avec une fâcheuse habitude de se transformer en loup de temps en temps. Ancelet a formé une génération de folkloristes; Arceneaux a inspiré une grande meute de poètes. Quarante ans après cette première « Paroles et musique » Barry Jean Ancelet/Jean Arceneaux se voit nommé le deuxième Poète lauréat de la Louisiane francophone, se succédant à son ami Zachary Richard, prouvant une fois pour toutes que le français louisianais est bel et bien une langue prestigieuse. Il suffisait de se donner la peine de l’écrire.