Les
Allemands, ces Créoles oubliés: Publié dans Acadiana Profile oct.-nov. 2014
Les
experts s’accordent sur une définition de Créole qui reconnaît, entre autres,
une origine européenne. Comme le drapeau d’Acadiana le montre, on met l’emphase
sur deux pays exclusivement : la France et l’Espagne. Notre statut
d’ancienne colonie de ces deux anciens empires, ainsi que la prépondérance de
patronymes français et espagnols, contribue à une sur-simplification d’une
situation qui est loin d’être simple. Dès les années 1720, bien avant le Grand
Dérangement et d’autres vagues d’immigration dues aux révolutions en France et
en Haïti, des gens originaires de l’Alsace-Lorraine étaient parmi les premiers
colons européens. Aujourd’hui, les Alsaciens et les Lorrains vous corrigeront
vite si vous confondez les deux. Au fait, le terme Alsace-Lorraine n’est en
général utilisé que pour désigner le territoire perdu à l’Empire allemand en
1871 et sa reconquête était un facteur majeur de la participation de la France
à la Première guerre mondiale. Quoi qu’il en soit, en 1716 quand John Law a
repris le monopole du commerce en Louisiane, il a fait appel aux Alsaciens de
venir s’y installer. Ils y arrivent et fondent en 1721 la ville de Des
Allemands. D’autres germanophones de la Vallée du Rhin, de la Suisse et de la
Belgique ont également suivi ce même chemin pour former la Côte des Allemands,
aujourd’hui les paroisses de Saint-Charles, Saint-Jean-Baptiste et
Saint-Jacques. Sans les produits fournis par leurs fermes dans les années 1730,
la Nouvelle-Orléans aurait sans doute périclité de famine. Il nous est
difficile d’imaginer qu’on pourrait crever de faim en Louisiane, mais la menace
était toujours là au début. Malgré plusieurs familles qui se disent cadiennes
avec des noms comme Waguespack, Zaunbrecher, Schexnayder ou Zeringue, on ne
tient pas souvent compte de l’importance de l’immigration allemande à notre
histoire et leur contribution à notre gombo culturel.
La
région autour de la Nouvelle-Orléans n’était pas le seul endroit qui a
accueilli des Allemands. Chaque octobre, l’Anse Robert, établi en 1881 par le
frère du Père Peter Thevis, un prêtre allemand que l’Archevêque Odin a recruté
pour servir les germanophones de la Nouvelle-Orléans, honore son héritage avec
la Germanfest. Mervine Kahn, immigrant allemand francophone, a joué un rôle
déterminant dans la musique cadienne et créole. En 1884, il a ouvert un magasin
à Rayne. On ne sait pas exactement comment, mais Kahn a commencé à importer et
vendre des accordéons de l’Allemagne. L’instrument est vite devenu populaire
avant l’avènement de l’amplification de son. La guerre a arrêté son
importation, créant la pénurie d’un instrument qu’on appréciait beaucoup. Les
Louisianais, débrouillards comme toujours, les ont défaits pour apprendre à les
réparer et les construire eux-mêmes. Cette tradition, devenue une petite
industrie, dure encore aussi.
La
guerre avait des conséquences négatives pour la langue allemande aussi. L’Acte
114 de 1918 interdisait expressément la langue allemande dans toutes les écoles
publiques, à tous les niveaux, sous peine d’une amende allant de vingt-cinq à
cent piastres et/ou une incarcération d’entre dix et quatre-vingt-dix jours. Les
petits francophones n’étaient pas les seuls à se faire punir parce qu’ils ne
parlaient pas l’anglais à la maison. Auparavant, l’allemand était si bien
répandu qu’en plus des prêtres germanophones, il y avait une gazette, le
« Louisiana Staats-Zeitung », publiée à la Nouvelle-Orléans entre
1850 et 1866. « Die Geheimnisse von New-Orleans » ou « Les
Secrets de la Nouvelle-Orléans » apparaissait d’abord en feuilleton dans
ces pages. C’est un long roman en allemand décrivant en détail la vie de cette
époque réédité aux Éditions Tintamarre à Shreveport, mieux connues pour ces
publications en français.
Mon
arrière-grand-père maternel Rebstock est arrivé très jeune en Louisiane de la
Prusse avant la Guerre des Confédérés. Son fils, un soldat américain, est parti
se battre dans la Grande Guerre. Une de mes possessions les plus précieuses est
une carte postale qu’il a envoyée à sa mère avant son départ de New York. Il
lui a écrit en français cadien. À ma connaissance, il n’a jamais parlé
l’allemand, mais ma mère disait que dès fois il y avait des hommes qui venaient
le voir de la Nouvelle-Orléans et ils se parlaient dans une langue qu’elle ne
connaissait pas. Était-ce de l’allemand? Si l’histoire de la Louisiane m’a
appris une chose, c’est que tout est possible.