mercredi 31 octobre 2018

Quelques réflexions sur l’adhésion de la Louisiane à l’OIF https://astheure.com/2018/10/31/filiere-louisiane-16/


Quelques réflexions sur l’adhésion de la Louisiane à l’OIF

La nouvelle est arrivée, comme il se doit de nos jours, dans un Tweet : « @OIFfrancophonie. Bienvenue à la #Gambie, à l’#Irlande, à la #Louisiane (É. U.) et à #Malte comme observateurs de la Francophonie! #SommetEVN2018. ». Depuis que le dossier de candidature fut posé en avril, on attendait avec impatience son acceptation. Je n’avais pas de vraies craintes qu’on soit rejeté, mais comme l’histoire de la Louisiane francophone est remplie de rendez-vous manqués, l’ombre du doute planait quelque part au fond de mon esprit. Cette annonce tant attendue a résonné en moi comme le soulagement d’une démangeaison de longue date. J’ai attendu ce moment depuis que j’ai appris le mot Francophonie et ce qu’il représentait. Comme le hasard fait bien les choses par fois, notre candidature a été acceptée en même temps que les Festivals acadiens et créoles reconnaissaient les contributions d’un monsieur que l’histoire aurait pu oublier si ce n’était pas pour le travail de plusieurs personnes. Caesar Vincent était un simple fermier dans la paroisse de Vermillon qui gardait dans sa mémoire des dizaines et des dizaines de chansons dont certains remontaient au Moyen-Âge. Elles étaient transmises de bouche à l’oreille pendant des siècles. Quelqu’un lui a montré ces chansons, tout comme ces gens ont appris de quelqu’un d’autre. Pour une raison ou une autre, il ne les a pratiquement pas transmises à personne, malgré le fait qu’il ne se gênait pas de les chanter à tout moment, même dans des circonstances les plus inappropriées. Si Harry Oster et Catherine Blanchet ne l’avaient pas enregistré à deux occasions différentes dans les années cinquante, on n’aura pas le trésor qu’on peut entendre encore aujourd’hui.

Quand je suis rentré de mon premier séjour en France grâce au CODOFIL en 1982, je pouvais enfin parler en français avec le seul grand parent qui me restait, ma grand-mère paternelle, Estella Pitre Cheramie. Cette femme que j’avais toujours entendu s’exprimer dans un anglais approximatif et, à vrai dire, un peu embarrassant pour moi, s’était transformée en une des personnes les plus drôles et éloquentes que j’ai jamais connues. Par exemple, une fois je l’avais prise dans ma voiture pour l’amener je ne me rappelle plus où. La circulation était lente, presqu’arrêtée. Je lui dis, « Le monde va doucement, hein? » Elle me répond, « Ouais, le monde est après naviguer leur char comme des crabes molles! » Encore aujourd’hui j’appelle des conducteurs qui roulent trop lentement des crabes molles. Il y a tout un aspect de sa vie que je n’aurais jamais connu si ce n’était pas pour l’effort d’une poignée de gens pour ramener le français en Louisiane du bord du précipice avant qu’il tombe dans l’oubli.

Je ne sais pas pourquoi M. Vincent n’a pas appris ses chansons aux gens autour de lui, mais je peux imaginer qu’une grande partie est due au fait que pas beaucoup de gens avaient envie de les apprendre. Encore aujourd’hui, qui a le temps, voire la durée d’attention, d’apprendre une chanson à vingt-cinq couplets? Il était bien populaire dans les veillées d’autrefois, avant que la télévision ne devienne l’agente d’assimilation vers la culture anglo-américaine, avant que l’industrie pétrolière ne fasse la promesse d’une vie meilleure que celle d’un fermier de subsistance, avant que les petits Louisianais n’étaient bûchés à l’école et obligés d’écrire ces « sacrées lignes » pour avoir parlé une langue qui leur était transmises depuis la nuit des temps. Grâce à une technologie nouvelle à l’époque, la bande magnétique, nous avons une collection de ses chansons que des artistes contemporaines ont ré-imaginées et réinventées sous forme numérique. La chaîne de la transmission de notre culture à plusieurs égards est cassée irrémédiablement à cause de l’arrivée brutale de la modernité; grâce à d’autres technologies, on a pu sauvegarder quelques graines à planter pour la prochaine récolte.

« C’est bien beau tout ça, mais quel est le rapport avec la Louisiane et l’OIF? » vous êtes sans doute en train de vous demander. Comme on a vu, la technologie n’a rien de mal en soi; tout dépend de comment on l’utilise. Internet et les médias sociaux jouent déjà un grand rôle pour les jeunes Francophones louisianais qui ont le plus à gagner de notre statut de membre observateur.
L’entrée de la Louisiane au sein de l’OIF est comme ce disque compact que j’ai acheté. J’entends les échos de la voix d’un homme né au XIXe siècle qui reçoit enfin sa juste reconnaissance au XXIe. Avec la Louisiane assise à la table de la Francophonie, j’entends la résonnance de la joie et des peines, des pleurs et des rires, des histoires et des mythes d’une langue française en Louisiane qui a failli se voir reléguée aux oubliettes. On est assis à la table des grands, tout faraud, tout faquin, et tout fier à servir notre gombo aux autres conviés, à prendre des nouvelles des cousins lointains, à découvrir de nouveaux amis, à faire le bilan et à planifier un meilleur demain pour nous et pour nos enfants, tout en français.

lundi 1 octobre 2018

Une place à la table, enfin! Publié deans Acadiana Profile, octobre-novembre 2018


Une place à la table, enfin!

Pour clore cette série célébrant le 50e anniversaire du CODOFIL, j’aimerais vous poser une devinette : Trouvez l’intrus parmi l’Argentine, la Corée du Sud, la Pologne, la Louisiane et l’Ukraine. Si je vous demandais quel pays n’était pas membre observateur de l’Organisation Internationale de la Francophonie qui compte parmi ses membres la France, le Canada et la Belgique, lequel choisiriez-vous? Contre tout bon sens, la réponse correcte, c’est la Louisiane. Étonnant, non? Malgré une population francophone, une agence d’état dédiée à la langue française, des programmes d’immersion française, des émissions de radio, une production musicale chantée en français et sa présence à plusieurs sommets de la Francophonie en tant qu’invitée spéciale, la Louisiane n’était pas, aux yeux de l’OIF, un pays francophone à part entière. Enfin, jusqu’à présent, si on avait une place à la table, c’était la table d’enfants et pas celle des grands. Mais, il y a du changement dans l’air alors que le CODOFIL s’embarque sur la prochaine phase de son histoire

La nouvelle directrice, Peggy Feehan, dévoile les grands axes de son avenir : L’immersion va continuer son expansion dans la paroisse Lincoln, à Shreveport, aux Natchitoches et, après tant d’années d’effort, même dans la paroisse Vermillon, une des plus francophones de l’état; on va renforcer la formation de nos propres enseignants en immersion – UL-Lafayette aura bientôt une maîtrise d’éducation en immersion – ainsi diminuant notre dépendance sur la générosité des étrangers; et, en même temps, on va transformer les étudiants francophones aussi en professionnels francophones en développant les débouchés vers d’autres métiers que l’enseignement. Puisque nous avons une jeunesse qui n’a pas honte de parler français, nous pouvons envisager un destin sans contrainte et sans entrave. En effet, autrefois confrontés à l’opprobre quand ils parlaient français en public, les Francophones louisianais de nos jours peuvent se parler sans craindre des insultes. Au contraire, souvent les autres expriment leur regret de ne pas parler français. Qu’importe qu’on ait moins de Francophones au XXIe siècle, ceux qu’on a parlent sans complexe et sans se soucier si c’est le « bon » français ou pas.

Mais la plus grande transformation pourrait avoir lieu les 11-12 octobre à Erevan en Arménie lors le prochain sommet quand l’OIF va décider si, oui ou non, la Louisiane mérite une place à la table des grands. La demande officielle était faite au printemps dernier, il ne reste plus qu’à attendre. Dans la conclusion du dossier, on peut lire, « Plus que jamais, la Louisiane reconnait que sa francophonie est une ressource naturelle et renouvelable. Elle constate, toutefois, que sa durabilité et son succès futurs dépendront des relations qu'elle entreprendra avec la Francophonie internationale, dont elle compte s'inspirer des modèles sociaux, politiques, économiques, professionnels et culturels de ses partenaires. La Louisiane est prête à prendre sa place à la table. » Dans cinquante ans, le CODOFIL a soulevé le voile sur une culture et une langue qui sont restées longtemps honnies et cachées et qui ne désirent qu’une chose, c’est de vivre sa vie en français au grand jour avec le reste de la famille.