Quelques
réflexions sur l’adhésion de la Louisiane à l’OIF
La
nouvelle est arrivée, comme il se doit de nos jours, dans un Tweet :
« @OIFfrancophonie. Bienvenue à la #Gambie, à l’#Irlande, à la #Louisiane
(É. U.) et à #Malte comme observateurs de la Francophonie!
#SommetEVN2018. ». Depuis que le dossier de candidature fut posé en avril,
on attendait avec impatience son acceptation. Je n’avais pas de vraies craintes
qu’on soit rejeté, mais comme l’histoire de la Louisiane francophone est
remplie de rendez-vous manqués, l’ombre du doute planait quelque part au fond
de mon esprit. Cette annonce tant attendue a résonné en moi comme le
soulagement d’une démangeaison de longue date. J’ai attendu ce moment depuis
que j’ai appris le mot Francophonie et ce qu’il représentait. Comme le hasard
fait bien les choses par fois, notre candidature a été acceptée en même temps
que les Festivals acadiens et créoles reconnaissaient les contributions d’un
monsieur que l’histoire aurait pu oublier si ce n’était pas pour le travail de
plusieurs personnes. Caesar Vincent était un simple fermier dans la paroisse de
Vermillon qui gardait dans sa mémoire des dizaines et des dizaines de chansons
dont certains remontaient au Moyen-Âge. Elles étaient transmises de bouche à
l’oreille pendant des siècles. Quelqu’un lui a montré ces chansons, tout comme
ces gens ont appris de quelqu’un d’autre. Pour une raison ou une autre, il ne
les a pratiquement pas transmises à personne, malgré le fait qu’il ne se gênait
pas de les chanter à tout moment, même dans des circonstances les plus
inappropriées. Si Harry Oster et Catherine Blanchet ne l’avaient pas enregistré
à deux occasions différentes dans les années cinquante, on n’aura pas le trésor
qu’on peut entendre encore aujourd’hui.
Quand
je suis rentré de mon premier séjour en France grâce au CODOFIL en 1982, je
pouvais enfin parler en français avec le seul grand parent qui me restait, ma
grand-mère paternelle, Estella Pitre Cheramie. Cette femme que j’avais toujours
entendu s’exprimer dans un anglais approximatif et, à vrai dire, un peu
embarrassant pour moi, s’était transformée en une des personnes les plus drôles
et éloquentes que j’ai jamais connues. Par exemple, une fois je l’avais prise
dans ma voiture pour l’amener je ne me rappelle plus où. La circulation était
lente, presqu’arrêtée. Je lui dis, « Le monde va doucement, hein? »
Elle me répond, « Ouais, le monde est après naviguer leur char comme des
crabes molles! » Encore aujourd’hui j’appelle des conducteurs qui roulent
trop lentement des crabes molles. Il y a tout un aspect de sa vie que je
n’aurais jamais connu si ce n’était pas pour l’effort d’une poignée de gens
pour ramener le français en Louisiane du bord du précipice avant qu’il tombe
dans l’oubli.
Je
ne sais pas pourquoi M. Vincent n’a pas appris ses chansons aux gens autour de
lui, mais je peux imaginer qu’une grande partie est due au fait que pas
beaucoup de gens avaient envie de les apprendre. Encore aujourd’hui, qui a le
temps, voire la durée d’attention, d’apprendre une chanson à vingt-cinq
couplets? Il était bien populaire dans les veillées d’autrefois, avant que la
télévision ne devienne l’agente d’assimilation vers la culture
anglo-américaine, avant que l’industrie pétrolière ne fasse la promesse d’une
vie meilleure que celle d’un fermier de subsistance, avant que les petits
Louisianais n’étaient bûchés à l’école et obligés d’écrire ces « sacrées
lignes » pour avoir parlé une langue qui leur était transmises depuis la
nuit des temps. Grâce à une technologie nouvelle à l’époque, la bande
magnétique, nous avons une collection de ses chansons que des artistes
contemporaines ont ré-imaginées et réinventées sous forme numérique. La chaîne de
la transmission de notre culture à plusieurs égards est cassée irrémédiablement
à cause de l’arrivée brutale de la modernité; grâce à d’autres technologies, on
a pu sauvegarder quelques graines à planter pour la prochaine récolte.
« C’est
bien beau tout ça, mais quel est le rapport avec la Louisiane et l’OIF? »
vous êtes sans doute en train de vous demander. Comme on a vu, la technologie
n’a rien de mal en soi; tout dépend de comment on l’utilise. Internet et les
médias sociaux jouent déjà un grand rôle pour les jeunes Francophones
louisianais qui ont le plus à gagner de notre statut de membre observateur.
L’entrée
de la Louisiane au sein de l’OIF est comme ce disque compact que j’ai acheté.
J’entends les échos de la voix d’un homme né au XIXe siècle qui reçoit enfin sa
juste reconnaissance au XXIe. Avec la Louisiane assise à la table de la
Francophonie, j’entends la résonnance de la joie et des peines, des pleurs et
des rires, des histoires et des mythes d’une langue française en Louisiane qui
a failli se voir reléguée aux oubliettes. On est assis à la table des grands,
tout faraud, tout faquin, et tout fier à servir notre gombo aux autres conviés,
à prendre des nouvelles des cousins lointains, à découvrir de nouveaux amis, à
faire le bilan et à planifier un meilleur demain pour nous et pour nos enfants,
tout en français.
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