La
Louisiane latine
Sous
un ciel de plomb un samedi d’octobre au centre-ville de Lafayette, je me dirige
vers la Scène internationale. En route, je remarque un camion comme tant
d’autres qu’on peut voir sur les chemins chez nous. Maculé de boue, un peu
cabossé, une boîte à outils dans la caisse arrière : c’est décidemment le
véhicule de quelqu’un qui travaille fort pour gagner sa vie. Avec ses plaques
louisianaises, rien ne le distinguait. Mais au lieu d’avoir des autocollants habituels
de LSU, d’UL ou des Saints, il arborait le nom d’un état mexicain, le Nuevo León. En regardant
les pare-choques d’autres véhicules autour, je vois les drapeaux du Porto Rico,
du Panama et de la Colombie. Ils allaient, comme moi, au Festival de la musique
latine.
Dans
un climat politique qui ramène les peuples hispaniques au cœur des discussions,
la présence en grand nombre d’Hispanophones n’a rien de nouveau en Louisiane. Hernando
de Soto et ses hommes sont considérés comme les premiers Européens d’avoir
navigué le Mississipi en 1541. On n’a qu’à regarder le drapeau d’Acadiana pour
se rendre compte de l’importance qu’ils ont eue dans notre histoire. Le château
de Castille est en honneur du roi Carlos III qui a financé l’expédition des
Sept bateaux qui ont amené 1,600 Acadiens en 1785. En1762, le Traité de
Fontainebleau avait cédé la Louisiane à l’Espagne, avec la prise officielle en
1764. Les habitants n’ont appris la nouvelle qu’en 1766 avec l’arrivée
d’Antonio de Ulloa comme gouverneur. N’entendant pas de cette oreille, la
Rébellion de 1768 contre le régime espagnol a fini par susciter son départ. Ce
n’était qu’une victoire pyrrhique. On doit classer son renvoi sous la rubrique
« il faut faire attention à ce qu’on demande, on risque de l’avoir »,
car son remplacement, Alejandro O’Reilly, dit le Sanglant, a fait pendre les
six chefs de la rébellion, tous des notables de la ville, dans une rue qui
s’appelle aujourd’hui « Frenchmen Street ».
Les
relations se sont améliorées à tel point que la période espagnole était la plus
prospère de notre histoire coloniale. C’est grâce à l’introduction des vaches espagnoles
qu’on a une industrie du bétail asteur. Les Isleños, les descendants des habitants
des îles Canaries, sont arrivés sur la demande du gouverneur Gálvez entre 1778
et 1779 en aussi grand nombre que les Acadiens. Beaucoup se sont installés à la
Terre-aux-Bœufs, aujourd’hui la paroisse Saint-Bernard et on peut trouver leurs
installations dans d’autres paroisses, notamment à Valenzuela en Lafourche et Galvez en Ascension. La Nouvelle-Ibérie a été fondée par un autre groupe espagnol, les Malagueños. Ils ont tous fait des
contributions à la langue française en Louisiane avec des mots comme pelote
pour balle ou tchaurisse, une sorte de saucisse.
Leur
plus grand apport était des gens comme le jockey Randy Romero, le peintre George
Rodrigue et le musicien Joe Falcon, parmi bien d’autres. Avec sa femme Cléoma
Breaux, Falcon, descendant
de Cristóbal Falcón, était le
premier à enregistrer une chanson cadienne, « Allons à Lafayette ». Malgré
les controverses actuelles, je me demande quelles contributions cette nouvelle
génération d’Hispaniques fera à la culture d’Acadiana.
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