La
confrérie de la chaudière noire
Dans
la cuisine de tout sud-louisianais qui se respecte, on peut s’attendre à
trouver un certain nombre d’ustensiles parmi sa panoplie : une cuillère en
bois exclusivement pour faire le roux, un cuiseur de riz grand format et l’omniprésent
rôtissoire Magnalite© ; tous les outils indispensables à la confection d’un
rôti de canard, d’une sauce piquante ou d’un jambalaya. Celui qui élicite sans
doute la plus grande nostalgie auprès de ceux qui comme moi ont grandi dans une
de ces cuisines est aussi lourd symboliquement que physiquement. On a tous
probablement des souvenirs d’enfances de poisson, de poulet ou de pâte à pain après
frire dans une poêle en fonte et des arômes associées. Si la métaphore de notre
culture est le gombo, la chaudière noire en fonte est le vaisseau par lequel il
est engendré.
L’entretien
correct de la chaudière noire sollicite des opinions aussi diverses que
passionnées. On dit qu’il ne faut jamais utiliser du savon pour la nettoyer, seulement
de l’eau chaude. D’autres conseillent de la frotter avec du sable. J’ai
interrogé un ami qui a l’habitude de cuisiner des quantités industrielles de gratons
ou de jambalaya dans sa pesante chaudière noire sur sa façon de la garder
propre. En guise de réponse, il m’a montré une bouteille de liquide-vaisselle
qu’il allait verser dans la chaudière une fois la cuisson terminée pour la
nettoyer. J’ai souvent goûté son manger et je ne trouve aucun goût résiduel,
mais je comprends que les puristes vont continuer à bannir toute forme de
savon. La vraie astuce, dit-il, c’est de frotter le fer avec de l’huile de
cuisine après l’avoir propté et de le chauffer bien avant de recommencer pour
brûler les impuretés. C’est une façon de respecter la chaudière noire comme il
se doit, sans la laisser rouiller.
Si
on aime quelque chose assez en Acadiana, on va lui donner son propre festival. Selon
la tradition en automne, on célèbre une grande variété de nourriture plus ou
moins au moment de la récolte. Les villages sont étroitement identifiés avec ces
festivals. Celui du riz à Crowley, du gombo à Chackbay ou de la canne à sucre à
la Nouvelle-Ibérie témoignent autant de notre volonté de se récompenser d’un
travail bien fait que de s’amuser avec la même ferveur. Cela dit, et
corrigez-moi si je me trompe, mais je ne connais pas de festival dédié à un
ustensile de cuisine à part le Festival de la Chaudière noire à Lafayette fin
octobre. En peu d’années – on compte la onzième édition cette année – ce
festival s’est démarqué des autres à plusieurs égards grâce à la vision de ses
fondateurs et la joyeuse bande d’amis musiciens, danseurs et cuisiniers qui les
entourent. Dire que le Festival de la Chaudière noire n’est pas comme les
autres ne commence même pas à décrire son originalité.
La
genèse du festival était un mélange d’influences se fusionnant autour des
membres du groupe légendaire Red Stick Ramblers avec le musicien folk Jay Ungar
comme catalyseur. Quand les Ramblers lui ont dit combien ils appréciaient son
camp culturel, Ashokan où se produisent quantité d’artistes louisianais, le
violoniste célèbre leur a lancé le défi de commencer leur propre festival.
Comme par combustion spontanée l’idée de l’appeler la Chaudière noire est venue
et le plat a commencé à mijoter. Depuis, une rencontre des musiques
traditionnelles américaines, allant du bluegrass au gospel, et les musiques
louisianaises avec la danse et la cuisine à la sauce des jeunes louisianais, a
créé un festival sans pareil. On a des concours de cuisine qui comportent de la
musique et on a des festivals de musique avec la cuisine à côté. L’originalité
de la Chaudière noire, c’est de créer un espace où on peut combiner la musique,
la danse et la cuisine mais aussi où on peut camper ou apprendre à jouer avec
des maîtres dans leur art. Plusieurs participants restent près de leur tente à
faire leur propre musique autour d’un feu, mangeant à la bonne franquette. Le
Festival de la Chaudière noire a su trouver une niche originale dans un
calendrier rempli de festivals. Avec toute cette jeunesse créatrice à s’affairer
autour, la chaudière noire ne risque pas de se laisser rouiller de sitôt.
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