Le cipre,
un bois incorruptible
Le
bassin de l’Atchafalaya est la plus grande zone humide des États-Unis, couvrant
quelques 1.4 millions d’acres, ou 5 700 km2. Il fait 20 miles de
large et 150 miles de long. Il est connu pour le commerce d’alligators et
d’écrevisses, ses voies navigables et sa beauté naturelle. Le composant
principal de ce paysage magique, le taxodium
distichum, ce que l’explorateur français du 18e siècle Le Page
du Pratz appelait, et ce qu’on appelle encore en français louisianais, le cipre,
impressionne non seulement par son apparence, mais aussi par la qualité de son
bois. Quinze ans après son retour en France, il a publié son Histoire de la Louisiane, où on peut
lire le suivant :
« Le
Cipre est après le Cédre le bois le plus précieux ; quelques-uns le disent incorruptible.
… Son bois est d’une belle couleur tirant sur le rouge, il est tendre, leger,
doux, uni. … Il ne se fend pas de lui-même mais seulement & sans peine sous
l’outil de l’ouvrier. … C’est un bois qui se prête à tout ce que l’on demande
de lui. »
Le
Page du Pratz notait son utilisation dans la fabrication des pirogues, un des
moyens de transport le plus important dans cet environnement. Il nous donne un
des rares témoignages écrits qui racontent comment le bois était soigneusement
brûlé et puis creusé pour former ces bateaux. Sans eux, il est difficile de
voir comment on aurait pu se déplacer efficacement dans les marécages. Depuis,
nos ancêtres ont appris ou découvert d’autres usages pour ce bois sans
pareille.
Les
colons incorporaient le cipre partout dans la construction. Les bardeaux en
cipre formaient un sceau étanche contre les pluies fréquentes. On a compris qu’un
bon moyen d’éviter les inondations, de laisser passer les courants d’air dessous
et de les isoler des insectes comme les termites était de poser les bâtisses sur
des blocs de cipre. Après cinquante ans, le cipre produit une sève qui le rend
imperméable à l’eau et aux insectes. C’est pour cela, comme leurs cousins les
séquoias sur la côte ouest, que les cipres peuvent vivre des centaines
d’années, voire un millier ou plus, et atteindre des hauteurs qui donnent le
tournis.
Puisque
le cipre pousse dans l’eau, il a développé un système de racine unique. On peut
croire que les « boscoyos » qui dépassent de l’eau autour de l’arbre
sont de jeunes pousses. Ils font partie au fait des racines et sortent de l’eau
pour respirer l’oxygène. Il vaut mieux ne pas les couper. Son habitat trempé
est idéal pour une autre plante emblématique de l’Atchafalaya : la mousse
espagnole. Beaucoup de familles vivaient de la récolte de la mousse et du
cipre. Henry Ford était un gros acheteur de mousse pour rembourrer les sièges
de ses voitures. Il exigeait qu’elle soit expédiée dans des cageots de cipre.
Toujours l’homme d’affaires averti, il se procurait ainsi du beau bois pour les
marchepieds et les tableaux de bords gratuitement.
Les
bûcherons se comptaient par milliers, tellement il y avait d’arbres à
transformer en planches. Ils tombaient des arbres tellement gros qu’une dizaine
d’hommes ou plus ne pouvaient pas faire le tour de la base. Ils travaillaient
tellement vite que des centaines d’arbres ont coulé au fond de l’eau, sans
moyens de les repêcher jusqu’à présent. Les charpentiers prisent les troncs
récupérés pour leur caractère exceptionnel. De longs séjours au fond de l’Atchafalaya
n’ont pas nui à cette réputation d’imputrescibilité. Au contraire, ces arbres
vivent une deuxième vie dans les maisons les plus élégantes. Les vieilles
granges dilapidées sont aussi une bonne source de bois de cipre. Pour atteindre
la qualité nécessaire pour que ce bois donne toute sa splendeur, il faut lui donner
le temps. Il va sans dire que si on veut avoir un arbre millénaire, il faut
attendre mille ans. Il paraît qu’il en reste quelques-uns de ses vieux géants
au fond de l’Atchafalaya, mais il vaut mieux les laisser là où ils sont et recycler
ceux qui ont déjà servi.
Désigné
comme arbre officiel de l’état, le cipre représente des qualités à émuler. Si seulement
on pouvait exiger à ce que tous nos politiciens soient comme lui, incorruptibles.
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