Un
ragoût d’hippopotame
Parmi
les centaines d’histoires que le folkloriste Barry Ancelet a collectionnées,
les plus célèbres sont sans doute les contes de Pascal. Racontés au Fred’s
Lounge, ces contes relatent les aventures rocambolesques de Pascal et ses amis
qui se déplaçaient en bicyclette sur les fils téléphoniques ou en emballeuse de
foin pour se rendre sur la lune. Les clients là ont l’habitude d’entendre des
contes forts. Mais je crois que si un beau samedi matin à Mamou je commençais à
raconter l’histoire suivante, le monde là-bas me prendrait pour le plus gros
des menteurs du pays. Et pourtant chaque mot de l’histoire de comment on a
essayé de nous faire manger de l’hippopotame il y a plus de cent ans est vrai.
Les
États-Unis du début du XXe siècle se transformaient à une grande vitesse. La
croissance de la population mettait une forte pression sur la nourriture que
les fermiers pouvaient fournir. Pour la viande, la situation était
catastrophique. Il y avait plus de bouches à nourrir, mais le nombre de vaches
avait baissé de façon dramatique. Le roman d’Upton Sinclair, La Jungle, avait obligé le gouvernement
à mandater l’amélioration des abattoirs insalubres, réduisant encore les
réserves de viande. La peur de ne pas pouvoir nourrir tout le monde était réel.
Mais un plan imaginé par un trio improbable, composé d’un mercenaire qui a
inspiré la création des Scouts, d’un chasseur boer qui a espionné pour les
Nazis et d’un représentant cadien qui a commencé sa carrière politique en
s’opposant à la loterie, de faire venir des hippopotames dans les marécages
louisianais proposait d’éliminer cette peur.
Frederick
Burnham se débrouillait seul depuis l’âge de douze ans en Californie. Deux ans
plus tard, vers 1875, il a rencontré un des derniers éclaireurs du Far-West qui
lui a enseigné les compétences nécessaires pour survivre dans le désert. Petit
à petit, le jeune Burnham a appris un nombre impensable de techniques de survie
qui lui serviront plus tard dans l’exploration d’Afrique australe pendant la
Guerre des Boers. C’était à cette époque qu’il fait la connaissance de Lord
Baden-Powell. Ce noble anglais était tellement impressionné par les prouesses
de Burnham qu’il a décidé de former une organisation pour enseigner ses
méthodes à la jeunesse : les Scouts. Fritz Duquesne était un Boer, donc
l’ennemi de Burnham qui se battait aux côtés des Anglais. Ils étaient
considérés comme les meilleurs éléments de chaque côté, leur mission mutuelle,
ce qui heureusement pour la suite de l’histoire ils n’ont pas accompli, était
de tuer l’autre. L’ingrédient essential dans cette combinaison était Robert
Broussard – homme politique, fils de planteur de la Nouvelle-Ibérie et
descendant des déportés du Grand Dérangement – qui avait un problème local à
résoudre n’ayant rien à voir avec le manque de protéine sur les tables
américaines. C’était plutôt la surabondance qu’une plante aquatique lui causant
des ennuis.
Originaire
de l’Amérique du sud, la jacinthe d’eau est arrivée à la Nouvelle-Orléans en
1884 à l’occasion de l’Exposition mondiale célébrant le centenaire de la
première exportation de coton vers l’Angleterre. Le contingent japonais la
distribuait aux passants qui admiraient sa fleur. La jacinthe se propageait à
une telle allure que les bayous et rivières étaient bientôt étranglés,
empêchant le passage des bateaux commerciaux. Le projet de loi dit de
l’Hippopotame américain de 1910, H.R. 23261, proposait d’allouer 250 000$ pour
faire d’une pierre deux coups : les hippopotames mangeraient la jacinthe
et les gens mangeraient les hippopotames. Ce projet a manqué de passer à la
législature par très peu de voix. Après cet échec, l’enthousiasme initial n’est
jamais revenu et on a oublié cette idée farfelue quand on a trouvé d’autres
moyens d’augmenter la production de viande. Nous avons toujours des jacinthes
d’eau qui encombrent nos cours d’eau, mais pas d’hippopotames. Quand on
considère que les hippopotames tuent des centaines de gens chaque année en
Afrique, je pense qu’on préfère voir les pétales pastel dans nos bayous, même
si elles épuisent l’oxygène.
Il
est presque impossible d’imaginer aujourd’hui qu’un de nos plats nationaux
aurait pu être un ragoût d’hippopotame, mais c’est exactement ce qu’ils
imaginaient pour nous. J’ai quand même l’impression que si cela avait marché,
on aurait une émission de télé, Les
Chasseurs d’hippopotame du bayou.
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