dimanche 2 juin 2019

La mousse espagnole. Publié dans Acadiana Profile juin-juillet 2019


La mousse espagnole / Signe de beauté et de santé dans les environs


Il est difficile d’imaginer un roman du genre gothique sudiste sans une seule référence à un chêne solitaire enrobé de mousse espagnole. Cette image est devenue presque une banalité, mais celle qui représente pourtant une vérité incontournable. Autant que le magnolia ou le grabot de coton, la mousse espagnole est une des plantes les plus emblématiques du Vieux Sud, surtout dans nos bayous.

On l’appelle aussi la barbe espagnole, apparemment en hommage aux longues barbes des Conquistadores, mais ce n’est ni une mousse, ni de la barbe. Elle est au fait membre de la famille des ananas et des broméliacées. Contrairement à ce que l’on peut croire, ce n’est pas un parasite, mais une épiphyte, ce qui veut dire qu’elle pousse sur d’autres plantes sans les gêner, comme font les orchidées. Elle contribue à la biodiversité, abritant de nombreuses espèces de vie animale, dont une araignée qui n’habite que dans cette plante. Elle pousse de jolies petites fleurs qu’on peut facilement rater et prend sa nourriture et son eau de l’air. C’est pourquoi on la trouve dans des zones humides sans trop de pollution aérienne. L’effet néfaste des fumées de voiture était plus grand avant l’interdiction du plomb dans l’essence. Depuis, la mousse espagnole se porte mieux en zones urbaines. Après avoir été considérée comme une source de malaria, les gens drapent la mousse dans leurs arbres dans l’espoir de la voir prospérer de nouveau.

À gauche, Lawrence Duet, propriétaire
du dernier moulin en Louisiane.
Il pèse une balle de mousse
avec un employé, 1970.
La mousse espagnole n’est pas seulement un joli ornement ou un signe de santé. Bien que pas aussi importante que le coton ou la canne à sucre, autrefois elle constituait néanmoins une industrie importante. À son apogée en 1936, 10,000 tonnes de mousse avec une valeur commerciale de 2,5 millions de dollars étaient récoltées à travers le sud. Plusieurs familles ont survécu à la Grande Dépression grâce à la mousse qu’elles ramassaient. Pour la commercialiser, il faut d’abord tremper la mousse dans l’eau deux ou trois semaines; l’extérieur gris meurt et tombe ensuite, révélant à l’intérieur un filament noir et robuste d’une grande utilité. C’est idéal pour des cordes, du rembourrage de sièges et de matelas, et surtout pour mélanger dans du bousillage, cette matière de construction de maison indispensable avant la climatisation. Les fibres empêchaient l’effritement des boues argileuses qu’on mettait dans les murs, créant ainsi une isolation parfaite pour notre climat humide. Les grandes quantités qu’Henry Ford achetait finissaient dans les sièges de ses Model T. Il paraît qu’il était moins intéressé par la mousse que par les boîtes en bois de cyprès dans lesquelles elle arrivait. Il utilisait les lattes pour fabriquer les panneaux et les tableaux de bord de ses véhicules. Il achetait ce bois précieux au prix d’un produit agricole qui ne nécessite aucun engrais, aucun arrosage.
Un Model T de Ford, certainement
avec de la mousse louisianaise dans
les sièges.

Quand les propriétaires du dernier moulin à mousse ont fermé les portes à Labadieville il y a quelques années, un chapitre de notre histoire s’est clos. Il nous reste de beaux chênes débordant de mousse espagnole qui attestent de la bonne santé de notre environnement. 

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