La
mousse espagnole / Signe de beauté et de santé dans les environs
Il
est difficile d’imaginer un roman du genre gothique sudiste sans une seule
référence à un chêne solitaire enrobé de mousse espagnole. Cette image est
devenue presque une banalité, mais celle qui représente pourtant une vérité
incontournable. Autant que le magnolia ou le grabot de coton, la mousse
espagnole est une des plantes les plus emblématiques du Vieux Sud, surtout dans
nos bayous.
On
l’appelle aussi la barbe espagnole, apparemment en hommage aux longues barbes
des Conquistadores, mais ce n’est ni une mousse, ni de la barbe. Elle est au
fait membre de la famille des ananas et des broméliacées. Contrairement à ce
que l’on peut croire, ce n’est pas un parasite, mais une épiphyte, ce qui veut
dire qu’elle pousse sur d’autres plantes sans les gêner, comme font les
orchidées. Elle contribue à la biodiversité, abritant de nombreuses espèces de
vie animale, dont une araignée qui n’habite que dans cette plante. Elle pousse
de jolies petites fleurs qu’on peut facilement rater et prend sa nourriture et
son eau de l’air. C’est pourquoi on la trouve dans des zones humides sans trop
de pollution aérienne. L’effet néfaste des fumées de voiture était plus grand
avant l’interdiction du plomb dans l’essence. Depuis, la mousse espagnole se
porte mieux en zones urbaines. Après avoir été considérée comme une source de
malaria, les gens drapent la mousse dans leurs arbres dans l’espoir de la voir
prospérer de nouveau.
À gauche, Lawrence Duet, propriétaire du dernier moulin en Louisiane. Il pèse une balle de mousse avec un employé, 1970. |
La
mousse espagnole n’est pas seulement un joli ornement ou un signe de santé. Bien
que pas aussi importante que le coton ou la canne à sucre, autrefois elle
constituait néanmoins une industrie importante. À son apogée en 1936, 10,000
tonnes de mousse avec une valeur commerciale de 2,5 millions de dollars étaient
récoltées à travers le sud. Plusieurs familles ont survécu à la Grande
Dépression grâce à la mousse qu’elles ramassaient. Pour la commercialiser, il
faut d’abord tremper la mousse dans l’eau deux ou trois semaines; l’extérieur
gris meurt et tombe ensuite, révélant à l’intérieur un filament noir et robuste
d’une grande utilité. C’est idéal pour des cordes, du rembourrage de sièges et
de matelas, et surtout pour mélanger dans du bousillage, cette matière de
construction de maison indispensable avant la climatisation. Les fibres
empêchaient l’effritement des boues argileuses qu’on mettait dans les murs,
créant ainsi une isolation parfaite pour notre climat humide. Les grandes
quantités qu’Henry Ford achetait finissaient dans les sièges de ses Model T. Il
paraît qu’il était moins intéressé par la mousse que par les boîtes en bois de
cyprès dans lesquelles elle arrivait. Il utilisait les lattes pour fabriquer
les panneaux et les tableaux de bord de ses véhicules. Il achetait ce bois
précieux au prix d’un produit agricole qui ne nécessite aucun engrais, aucun
arrosage.
Un Model T de Ford, certainement avec de la mousse louisianaise dans les sièges. |
Quand
les propriétaires du dernier moulin à mousse ont fermé les portes à
Labadieville il y a quelques années, un chapitre de notre histoire s’est clos. Il
nous reste de beaux chênes débordant de mousse espagnole qui attestent de la
bonne santé de notre environnement.
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