Je n’étais pas exactement ce qu’on appelle un enfant délicat. Je mangeais tout ce qu’on pouvait trouver sur une table en Louisiane du sud : des chevrettes frites, des po-boys, des écrevisses bouillies ou à l’étouffée, des macaronis, des hamburgs, des hot-dogs, etc., etc., etc. Les cuisines américaine, cadienne et créole se côtoyaient joyeusement, souvent dans la même assiette. Malgré mon appétit dévorant même pour la verdure, je n’arrivais pas à avaler un légume qui, paradoxalement, fait partie aujourd’hui de mes plats préférés. Ma mère n’essayait même pas de me le servir; elle me donnait un passe puisque je mangeais tout le reste j’imagine. Une fois, chez une tante, par politesse je me suis forcé à ingérer cette coction visqueuse que mes cousins s’en filaient à grands coups de cuillère. J’ai juré de ne plus jamais consommer cette abomination culinaire pendant longtemps. Des années après, j’ai compris mon erreur. Je me privais inutilement d’une plante qui portait notre culture sur ses tiges. J’ai nommé le gombo.
Selon Jessica B. Harris, cette cosse mucilagineuse raconte
l’histoire de la diaspora africaine. Il est plutôt certain que dès 1719, les premières
graines de gombo arrivaient en Louisiane dans les poches des Africains vendus
en esclavage. Largement associé avec l’Afrique occidentale, une espèce de gombo
a été néanmoins cultivée dans la vallée de la Haute-Égypte au 13e
siècle. L’historienne Gwendolyn Midlo Hall a déterminé que la plupart
d’Africains transportés en Louisiane étaient originaires de la Sénégambie. Ses
différentes appellations—gombo, févi, okra—viennent tous d’une langue africaine :
Bantu, Fon et Igbo respectivement, et confirment la connexion tragique entre la
plante et la traite esclavagiste transatlantique. Tout comme les blues sont nés
du désir d’exorciser les démons de la tristesse, la cuisine à base de gombo donnait
de la force au corps et à l’âme à confronter les ignominies quotidiennes.
Depuis, nous partageons et célébrons la victoire de la vie avec chaque repas,
sans oublier que c’est une nourriture riche en minéraux, vitamines,
antioxydants et fibre.
On trouve des influences africaines, françaises et
amérindiennes dans l’évolution complexe du plat national louisianais. Selon les
régions et les époques, on peut constater une grande variété surprenante d’ingrédients.
Un des seuls constants est l’emploi du gombo. On peut, néanmoins, diviser la
soupe gombo en deux catégories : gombo févi et gombo filé. Le dédoublement
du nom implique la présence de la plante gombo dans la soupe gombo, souvent
avec des fruits de mer. Ce dernier, à base de viande d’ordinaire, inclut l’ajout
de filé, des feuilles moulues de sassafras, une pratique qu’on hérite des
peuples indigènes. Les deux épaississent la soupe, mais sous aucun prétexte
doit-on les mélanger.
Je dois remercier ma tante de m’avoir servi un jour ce
bol de gombo févi, sans lequel, je n’aurais jamais compris l’aphorisme français,
« Dis-moi ce que tu manges : je te dirai ce que tu es ». Autrement
dit, la nourriture est à la base de la culture et la culture est à la base de
notre identité.
Peut on publier ton article dans le site de France Louisiane David ?
RépondreSupprimerOui, bien sûr. Je crois vous avoir déjà donné la permission de reproduire mes articles tant que vous me donnez le crédit!
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