Les Restaurants de mon cœur : Une affaire de famille
Le confort qui vient avec le
souvenir des bonnes odeurs et saveurs qui émanaient des cuisines de notre
enfance est souvent la source d’un bonheur profond et d’une inspiration
créatrice. Le romancier français Marcel Proust a mis en marche son œuvre
magistrale, À la recherche du temps perdu, rien qu’avec l’évocation d’une
simple pâtisserie, une madeleine. Notre relation avec la nourriture est à la
fois immédiate et ancestrale, transcendant le temps et les générations. Apprendre
à cuisiner auprès de sa mère et de sa grand-mère est parfois le début d’une
carrière culinaire, comme dans le cas du plus célèbre chef cadien, Paul
Prudhomme qui a appris à manier une cuillère en bois de sa mère, Hazel.
Dans mon village natif de Canal
Yankee, il n’existait que des restaurants locaux, pas de chaînes nationales
bien sûr. Ils étaient néanmoins d’une qualité exceptionnelle. Je me souviens en
particulier de deux d’entre eux dont mes amis d’enfance et moi parlons encore. Le
premier se situait sur la rive gauche du Bayou Lafourche dans un lieu-dit appelé
la Pointe à saucisses, ou tout simplement la Pointe. Ti-Ya’s servait des
po-boys de rosbif qui ont atteint un statut mythique. Le pain divin venant de
la boulangerie légendaire Dufrene, juste de l’autre côté du pont, ne pouvait
qu’à peine contenir la sauce au jus qui dégoulinait de tout bord. On passait
autant de temps à se lécher les doigts afin de ne pas en perdre une goutte qu’à
croquer à belles dents le pain croustillant surchargé de viande, de laitue et
de tomate. Je plains le monde qui n'a pas connu un tel délice.
L’autre restaurant était tenu par des cousins et ma famille y allait religieusement chaque dimanche après la messe. La Nouvelle-Orléans peut avoir Galatoire’s, Paris le Fouquet’s et New York Tavern on the Green. À Canal Yankee, Randolph’s Restaurant était une institution. Ce n’était qu’en arrivant à l’ouest de l’Atchafalaya que j’ai entendu la phrase, « un temps de gombo ». Toute l’année, on y servait du gombo sublime. Dans la cuisine, la mère du propriétaire, Mme Freddia, une dame cadienne du genre qu’on ne reverra plus, régnait en maîtresse des lieux. Quant au propriétaire éponyme, M. Randolph était un homme jovial, travailleur et plutôt farceur. Avec son tablier blanc et une serviette drapée sur son épaule, il passait dans la salle saluer ses clients avec un rire infectieux et une bonne blague avant de regagner les cuisines non-climatisées. Même si la bâtisse a disparu depuis longtemps, la tradition continue avec son fils Randy qui est instructeur à l’Institut Culinaire John Folse à Thibodaux.
Si on énumère ses restaurants locaux
préférés, la liste sera probablement composée presque exclusivement
d’établissements gérés par des membres d’une même famille depuis des
générations. Ils ont sans doute appris le métier au coude d’une aînée, le même
savoir-faire qu’ils vont transmettre à leurs descendants, qu’ils soient
restaurateurs ou pas. On peut faire une école de cuisine, mais la meilleure
école est sans doute celle où l’amour familial est l’ingrédient principal.
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