Le bruit, ça le connaît. Élevé par Lassie, Ed
Sullivan, Gilligan’s Island, Hogan’s Heros, Twilight Zone et Star Trek et
d’autres parents télévisés succédanés, il a besoin de ce fond sonore qui
l’empêche d’aller au fond de lui-même. La télé qui marche toute la journée, ça
ne lui fait pas peur. Bien au contraire. L’invention de la télécommande était
le comble de l’extase.
Au lieu d’éteindre la radio comme demandé, il pèse sur
la touche « Search ».
Un cowboy proclame l’énormité de son amour en peignant
sur un château d’eau « I ♥ Betty Sue » dans le même ton de vert que
les tracteurs John Deere; une grande gueule mégalomane crie à se cracher les
poumons que les Communistes, qui s’appellent le Nouvel Ordre Mondial à présent,
conspirent toujours de dominer le monde; deux ou trois chansons d’il y a une
quinzaine d'année fraîchement reprises façon hip-hop; encore un bon chrétien qui
explique pourquoi c’est correct de fesser ses enfants tant qu’on le fait dans
l’amour du Seigneur et pourquoi une femme doit se soumettre aux quatre volontés
de son mari; enfin, Alice Cooper, Vincent Furnier de son vrai nom et descendant
de Huguenots, qui passe du bon vieux Rock’n’Roll. « If
it keeps on rainin’, levee’s goin’ to break/ If it keeps on rainin’, levee’s
goin’ to break/ When the levee breaks, I’ll have no place to stay. » Le conducteur ferme enfin le poste.
« Le silence rend fou peut-être, se dit-il, mais
je suis pas rendu au bout encore. » Pour creuser l’écart un peu plus, il
met un CD de Tracy Chapman et la chair de poule lui picore le bras. « You
got a fast car/ I want a ticket to anywhere. »
Ses phares renvoient un éclat blanchâtre. Un autre
panneau le met en garde, en cas de temps froid, contre un verglas théorique qui
se formerait sur le pont avant que la chaussée défoncée ne se gèlerait.
« L’état peut manquer d’argent pour les chemins,
mais les politiciens ne manquent pas d’air, pense-t-il. Pour un pays qui voit
la neige une fois tous les dix ans, c’est un peu exagéré, je trouve.
D’ailleurs, ça doit être le cousin du gouverneur qui tient le contrat des
panneaux. On devrait électer quelqu’un qui a un cousin avec une machine pour
arranger les chemins. »
Marie le conseille de s’occuper plutôt de sa parenté à
lui.
« Je ne fais que ça, ma Mère, je ne fais que
ça. »
La fatigue l’envahit comme une armée arrivée en pays
conquis. Il sait où, un peu plus loin, gîte et couvert l’attendent, un
vrai oreiller pour la tête de son enfant, pas un Levi 501 roulé serré en
boudin. Il attrape son cellulaire et compose le 1-800-FOR-KJUN. Il quitte un
chemin pour en emprunter un autre. Il n’est pas sûr de gagner dans l’échange.
Il passe devant des maisons basses en briques à ras le sol, style
« Ranch » avec des pelouses infinies constellées de roues de
charrette à moitié enterrées, des tracteurs en état avancé de mort par rouille
et d’innombrables statues de Marie. Du tableau de bord, Marie fait de la tête un
petit Bonjour à une de ses consœurs nichée dans une baignoire coupée en deux.
« Tu la connais? »
« Oui, on a été à l’école ensemble. »
« Je ne savais pas qu’il y avait une école pour
les vierges. »
« Malheureusement, il y en a de moins en
moins. »
Il passe devant encore quelques maisons alignées le
long du chemin avec accès sur le bayou derrière. Quand sa voiture arrive devant
la dernière maison avant le pont, il s’arrête. Il coupe le contact et Marie se
fige dans sa pose pieuse. Il ouvre la portière et laisse tomber son pied gauche
dans sa botte en peau de cocodrie lourdement sur le chemin de coquillage. Il
s’avance vers la maison en faisant un bruit de craquement. Il monte les
escaliers en bois de cyprès en regardant les berceuses réservées aux invités
pour la contemplation du bayou. Il y en a une qui semble se bercer toute seule
dans la brise légère du petit matin.
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