lundi 30 mars 2015

Dix mots en quête de Louisiane. Publié sur le site www.cousinsdepersonne.com le 20 mars 2015

Dix mots en quête de Louisiane


Amalgame

Derrière le bruit de la foreuse dentaire

Qui tourne cent fois la seconde avec

Un vrouine, vrouine, vrouine qui résonne dans la tête

Charlie Parker, Cool bird, vole autour trente-trois fois la minute

Max Roach bat avec dextérité les 340 coups qui extirpent la douleur

Miles Davis chasse le vers mais c’est l’oiseau qui l’attrape

Le Dr Leblanc comble les caries dans mes dents avec de l’amalgame

Et les carences dans ma culture avec du Scrapple from the apple


Bravo

Le cri du marchand de chars m’a réveillé sans tendresse. « On va soigner ton char comme le char à nous autres ! », hurlait le vieux M. Courvelle pour que le monde achète japonais. J’ai dû m’assoupir un bon bout de temps car la nuit était tombée. Je n’avais pas fermé les rideaux. Je hais la salle de TV avec les rideaux ouverts quand il fait nuit noire dehors. Quand j’étais petit, je m’attendais à ce que le visage du Roux-garou se presse contre la fenêtre si on ne fermait pas à temps. Je sais maintenant que le Roux-garou n’existe pas, mais je me précipite pour serrer les rideaux ensemble dès que le jour baisse. C’est comme la Tataille sous mon lit qui allait attraper ma main si je la laissais dépasser. Il n’y a pas de Tataille, mais ma main ne dépasse jamais.

Avant de me lever pour chasser l’image du Roux-garou, j’essaye d’éteindre la télé, mais je pèse sur le mauvais bouton. Je change de chaîne et tombe sur une émission qui montre deux dames habillées avec des tabliers dans une vieille cuisine. La scène change rapidement vers un extérieur qui m’a l’air vaguement familier. Des chênes couverts de barbe espagnole, des lataniers, un écore de bayou avec une pirogue amarrée au quai. Je reconnais tout de suite la nouvelle série de télé-réalité « Les Vraies Femmes de la Prairie des Femmes ». C’est sur la chaîne Bravo, plutôt destinée à une audience féminine. Une voix off parle de la légende du Roux-garou qui sortait du fond des bayous pour venir dévorer le cœur des enfants pas sages. « C’est une invention de mère pour faire peur aux petits », pensé-je en tirant les rideaux les yeux fermés.


Cibler

Un bruissement de feuillage

Le fusil en joue

Un œil se ferme

L’autre cherche la cible


Grigri

Chaque deuxième samedi du mois, si le temps le permet, un groupe de bénévoles se rassemble pour ramasser les détritus que les gens ont jetés dans les rues et qui finissent dans le bayou. Bon mois, mal mois, ils peuvent remplir quelques douzaines de sacs poubelle entre sept heures et midi. Ils trouvent les choses les plus hétéroclites : ballons de basketball, chauffe-eau, paniers de supermarché, téléviseurs écran plat, sofas, pneus. Si ça se nomme, ils le trouvent dans le bayou.

La chose la plus étrange qu’on découvre de temps en temps, ce sont des petites bouteilles en plastique qui contiennent normalement des médicaments. On les remplit de bouts de papier couverts de gribouillages à peine lisibles. Parfois, c’est seulement un ou deux mots : amour, argent, travail, santé. Des souhaits de bonheur jetés dans l’eau en espérant qu’on ne sait quel loa les exauce. Mais plus rarement, ce n’est pas son propre bonheur qu’on désire, mais le malheur des autres. Alors on écrit sur ces papiers : crise cardiaque, accident de voiture, chute fatale. Quel tort, réel ou imaginé, porte-t-on en soi pour invoquer les esprits contre ses voisins ? Parmi les rebuts de la vie matérielle, on trouve parfois la déchéance spirituelle.


Inuit

Inukshuk nous montre le chemin

Sur la toundra ou sur la prairie

Dans les bayous ou dans la rue

Beaucoup d’hommes perdent le nord

Ne retrouvant plus leur chez soi

L’Inuit sait qu’on peut facilement se perdre

Si on n’a pas de points de repère

En rentrant de la chasse ou de la taverne

Les hommes manquent souvent

Un sens de direction


Kermesse

Notre Dame de Prompt Secours avait sa kermesse chaque année autour du 15 août. La chaleur d’été ne sévissait plus autant (même si la température n’avait pas vraiment baissé) puisqu’on avait enfin une nouvelle distraction en attendant la rentrée des classes. Le Père Massé avait annoncé que cette année pour la vente à l’encan il y aurait une surprise. Les quelques hommes de la paroisse qui commençaient à faire fortune grâce aux puits d’huile faisaient monter les enchères, littéralement, chaque année, souvent pour des articles qu’ils auraient pu acheter au magasin à une fraction du prix. Tout l’argent allait à la paroisse, naturellement. L’année dernière, grâce à une lampe avec un abat-jour aux motifs de cow-boy, le prêtre avait commandé un nouvel autel en marbre d’Italie dans lequel on avait placé un morceau d’os d’un saint. On ne pouvait pas imaginer jusqu’où les prix grimperaient avec un produit de choix.

Les autres articles de la vente ne déviaient pas de la tradition. Une ceinture en cuir du magasin Dads and Lads acheté cinquante piastres, un souper chez Randolph à trente piastres et un nouveau filet de trawl pour cent cinquante piastres. Il est vrai que la pêche aux chevrettes a été particulièrement bonne cette année. Néanmoins, le Père Massé avait bien gardé le secret dans le presbytère jusqu’au moment de la vente. On le vit sortir avec un grand objet carré recouvert d’une toile et marcher jusqu’à l’estrade où M. Thériot annonçait la vente comme chaque année. La foule se pressa devant pour mieux voir ce qui se cachait dessous. Avec un flair inhabituel, le prêtre, austère avec sa coupe de cheveux militaire, retira la couverture tel un magicien pour dévoiler un petit macaque verdâtre dans une cage. Les gens lâchèrent un « ooouuu » collectif à la vue de cet animal exotique. Le prêtre ne put cacher sa satisfaction, d’autant plus qu’il savait que les hommes les plus riches étaient toujours là et qu’ils n’avaient pas encore joué bien gros. Il savait aussi qu’ils avaient passé l’après-midi à boire de la bière.


Le beau-frère de M. Thériot, un certain Valsin Falgout, au bout d’une vingtaine de minutes de lutte épique avec le richissime fils du fondateur du premier chantier naval sur le bayou, finit par remporter le petit macaque contre assez d’argent pour permettre à la paroisse de remplacer les salles de classe de catéchisme. Afin de remercier M. Falgout pour sa générosité, le macaque mourut le lendemain. La plaque sur la façade de la bâtisse avait beau porter le nom de son bienfaiteur, tout le monde l’appelait la maison du macaque.


Kitsch

Elvis en velours

Brillant dans la lumière noire


Sérendipité

Si je n’avais jamais lâché mon stylo, je ne me serais jamais penché pour le ramasser

Si je ne m’étais jamais penché pour le ramasser, je n’aurais jamais vu ton sac à dos sous la table

Si je n’avais jamais vu ton sac à dos sous la table, je n’aurais jamais remarqué tes macarons

Si je n’avais jamais remarqué tes macarons, je n’aurais jamais su que tu aimais Bowie et les Clash

Si je n’avais jamais su que tu aimais Bowie et les Clash, je ne me serais jamais redressé pour chercher ton visage

Si je ne m’étais pas redressé pour chercher ton visage, je ne me serais jamais plongé dans tes yeux

Si je ne m’étais jamais plongé dans tes yeux, je n’aurais jamais eu besoin de mon stylo

Pour écrire notre histoire d’amour


Wiki

« Wiki, wiki » me disait le guide en montant le volcan hawaïen en vitesse

« Wiki, wiki » on va chercher la définition de la beauté en cinq secs

« Wiki, wiki » nos cœurs se battent de plus en plus vite

« Wiki, wiki » la connaissance du monde est au bout des doigts de ceux qui prennent le temps


Zénitude

Printemps jour premier

Fête de la Francophonie

Fleurs du mal s’éclosent

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire