mercredi 30 septembre 2020

La Canne à sucre : une histoire aigre-douce. Publié dans Acadiana Profile oct.-nov. 2020


La Canne à sucre : une histoire aigre-douce

En Acadiana, l’automne apporte sa promesse de douceur après la chaleur et l’humidité estivales si épaisses qu’on a l’impression de plonger dans un sauna en franchissant le seuil de la porte. Enfin, le vent du nord dessèche et balaie le ciel, laissant un fond bleu clair avec quelques nuages ébouriffés. Avec la nouvelle inclinaison de la terre, la lumière arrive à un nouvel angle et crée une « heure dorée » qui s’éternise. Les couleurs et les sensations revigorantes s’accompagnent d’une odeur incomparable ailleurs aux États-Unis. Quand c’est le temps de la roulaison, signalée par l’interminable défilé de camions chargés de canne à sucre fraîchement coupée par d’énormes engins, l’arôme du débris qui brûle dans les champs récoltés flotte dans l’air. Bien que désagréable pour certains, c’est, de mon avis, la senteur même de la Louisiane.

 

La culture de la canne à sucre est tellement ancienne que les premiers textes la décrivant sont écrits en sanskrit. Avant d’arriver en Inde du nord, on la faisait pousser premièrement en deux endroits différents : dans l’archipel de la Nouvelle-Guinée et dans la péninsule du sud-est asiatique qu’on appelait autrefois l’Indochine. De là, elle s’est répandue à travers les îles du Pacifique. On pense qu’elle a contribué à l’expansion des peuples austronésiens à travers cette zone, jusqu’en Hawaï. Fait intéressant : la canne à sucre appartient à la famille de l’herbe.

 

Arrivée chez nous en 1765 par les pères jésuites qui la cultivaient pour leur propre consommation, la canne à sucre n’a pas pris une place importante dans l’économie avant l’invention du processus de granulation par Étienne de Boré. D’abord cultivateur de l’indigo, de Boré s’est ensuite intéressé à la canne à sucre avec l’arrivée des planteurs fuyant la révolution haïtienne. Ce sont ces planteurs-là qui ont importé le savoir-faire, et la main-d’œuvre asservie, et qui ont développé le commerce de « l’or blanc ». Sa production à Saint-Domingue rapportait tellement d’argent à la France qu’elle était prête à lâcher de vastes territoires nord-américains afin de garder ses îles caribéennes sucrières. Elle représentait à peu près la moitié de la production mondiale, récoltée par des mains sans liberté. On ne peut pas parler de l’histoire de la canne à sucre sans invoquer la cruauté de l’esclavage. La douceur du sucre est mise en perspective par l’amer héritage de la servitude forcée de millions d’Africains aux Amériques. Une souffrance sans pitié subie par les Noirs au nom d’un délice en granulé blanc.

 

À présent, l’industrie du sucre, avec ses machines récolteuses qui ont remplacé la machette depuis longtemps, rapporte entre deux et trois milliards de dollars à l’économie chaque année. Sur 400,000 acres dans 22 paroisses, à peu près 13 millions de tonnes de sucre brut est produit dans onze usines, employant quelques 17,000 personnes.


Les champs de canne à sucre à perte de vue. L’odeur piquante de la fumée. La vapeur blanche des moulins à sucre le long de la route 90 s’ondulant dans un ciel bleu. Ce sont les éléments d’un tableau vivant de la Louisiane du sud en automne.


                                            

 



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