Les
Grammys « inattenduables »
Un
ami a dessiné une carte une fois qu’il appelait, « Je ne suis pas sûr,
mais je crois que toute musique vient de la Louisiane ». La page était
remplie d’images d’artistes associés avec plusieurs endroits à travers l’état.
Évidemment Louis Armstrong à la Nouvelle-Orléans et Elvis au Louisiana Hayride
à Shreveport y figuraient, mais aussi des praticiens de blues, de gospel, de
musique classique, de zarico et de musique cadienne dans de nombreuses villes.
C’est comme si la terre du delta du Mississipi nourrissait plus que le coton et
la canne à sucre. Un lien existe certainement entre ce travail agricole et la
création musicale florissante. La carte témoignait d’une forte concentration de
musiciens de grand talent à Lafayette et ses environs. La majorité des gens étaient
des inconnus pour la plupart qui n’ont jamais imaginé qu’ils faisaient une
contribution culturelle importante. Ils n’auraient jamais cru que la musique
qu’ils jouaient pour s’amuser après une dure semaine de travail aurait mérité
une reconnaissance spéciale, encore moins sa propre catégorie aux Grammys.
La
59e cérémonie de remises des statuettes en forme de gramophones aura
lieu le 12 février 2017. À date, on ne connaît que celles et ceux qui sont en
lice pour recevoir ce trophée tant convoité. Il est modelé sur l’invention de
Thomas Edison, mais le premier appareil qui transcrivait le son était le
« phonautographe » inventé en 1857 par le Français Édouard-Léon Scott
de Martinville. Sa machine ne pouvait pas reproduire le son, seulement le
tracer sur du papier. Mais, en 2008, une équipe d’ingénieurs a pu transformer
des lignes tracées en 1860 en son pour révéler le plus vieil enregistrement de
la voix humaine connue, la comptine classique, « Au clair de la
lune ». Avec toutes ces connections culturelles et historiques, ce n’est
pas étonnant que les musiciens louisianais dominent dans plusieurs catégories,
notamment celle des Racines régionales qui compte cette année des disques
surprenants pour ne pas en dire plus. Malgré la riche tradition musicale, ce n’était
pas toujours évident qu’elle soit reconnue à part entière.
En
1996, le groupe Beausoleil avec Michael Doucet a gagné le Grammy dans la
catégorie Folk traditionnel, une sorte de fourre-tout où l’on trouvait des
artistes célèbres comme Bob Dylan et Pete Seeger. Pour rendre la compétition
plus juste, Terrance et Cynthia Simien ont mené une bataille tenace qui a
abouti à la création de la catégorie Zarico et Musique cadienne. Elle n’a duré
que quatre ans, mais c’était assez pour que Beausoleil gagne une deuxième fois,
ainsi que Simien, Chubby Carrier et le regretté Buckwheat Zydeco. Depuis l’établissement
en 2012 de la catégorie Racines régionales, le cadien, le zarico et d’autres
genres typiquement louisianais, mais aussi d’autres comme les musiques
hawaïenne et amérindienne se regroupent. On domine largement avec les cinq
gagnants jusqu’à date étant louisianais d’origine ou d’adoption : Rebirth
Brass Band, Courtbouillon, Terrance Simien, Jo-El Sonnier et Jon Cleary. Une
belle palette des couleurs vives qui montrent une large gamme de talent.
Trois
des cinq nominés cette année sont louisianais, mais à les regarder de près, on
observe un condensé de plusieurs influences musicales et de quelque chose d’
« inattenduable » selon le comité de sélection. Curieusement, il n’y
a pas d’artiste qu’on peut strictement classifier comme cadien ou zarico. « I
Wanna Sing Right : Rediscovering Lomax in Evangeline Country » une compilation
de plusieurs artistes, « Gulfstream » de Roddy Romero et les Hub City
All-Stars, et probablement le plus atypique de tous, « Broken Promised
Land » de Barry Jean Ancelet et Sam Broussard se présentent contre des
nominés amérindiens et hawaïens. Sing
Right est basé sur des chansons traditionnelles premièrement enregistrées
par Alan Lomax et re-envisagées par des musiciens modernes sous l’égide de
Joshua Caffery et de Joël Savoy. Gulfstream
est plutôt dans le genre Americana avec une bonne dose de soirée louisianaise
du samedi soir. Le dernier est sui
generis, d’où la qualification d’ « inattenduable ». Un peu de
blues, une pincée de poésie, beaucoup de ballades traditionnelles. Vraiment du
jamais entendu. Enfin, on ne devrait pas s’étonner. Si la diversité de la
culture de la Louisiane nous a appris une chose, c’est qu’il faut s’attendre à
l’inattendu.
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